Allocutions et interventions

Allocution de Fidel Castro pour le quinzième anniversaire de la victoire de Playa Girón, le 19 avril 1976

Date: 

19/04/1976

Chers compañeros,

Il y a juste quinze ans, à cette heure précise, les derniers échos de la bataille qui déjouait une des actions les plus sinistres et les plus traîtresses de l'impérialisme yankee contre un peuple d'Amérique latine ne s’étaient pas encore éteints.

Girón est passé à l’histoire comme la première défaite de cet impérialisme sur ce continent.

Il serait totalement vain de chercher le moindre principe éthique dans un système dont toutes les actions sont marquées au sceau de l’exploitation, du pillage, de la fourberie et du crime. Toute l’histoire des Etats-Unis d’Amérique par rapport aux peuples latins de ce continent, depuis qu’ils ont enlevé au Mexique plus de la moitié de son territoire jusqu’à l’organisation de leur coup d’Etat criminel et fasciste au Chili qui a abouti à l’assassinat de son président illustre, révolutionnaire et digne, Salvador Allende, en passant par l’occupation de l’isth­me de Panama, les interventions armées sordides et pirates dans de nombreux pays d’Amérique cen­trale et des Caraïbes, l’assassinat de Sandino et le débarquement en République dominicaine de l’infanterie de marine yankee pour liquider la révolution de Francisco Caamaño, toute cette histoire porte la même empreinte d’omnipotence, de fourberie, de trahison et de violence.

C’est grâce à ces menées perfides que les Etats-­Unis se sont emparés des richesses de toute l’Amérique, ont imposé à nos peuples un système d’exploitation impitoyable et ont instauré ici, avant n’importe quelle autre région du monde, les méthodes de domination néo-colonialistes.

Tout ce qui a trait à l’épisode de Girón a été fourberie, violation flagrante du droit internatio­nal, perfidie et crime. La ténébreuse CIA a dé­pensé des dizaines de millions de pesos pour recruter, entraîner et équiper des mercenaires : latifundiaires, bourgeois, vendus, criminels de guerre, toxicomanes, vulgaires délinquants et lumpens. Sa stratégie s’est doublée de plans hor­rifiants d’assassinats de dirigeants de la Révolution cubaine, en vue de quoi elle n’a pas hésité à faire appel à des chefs notoires de la mafia, à des bactéries, à des explosifs et aux méthodes cri­minelles les plus sophistiquées. Des dizaines d’agents et des milliers d’armes ont été préalable­ment introduits dans notre pays, par avion ou par bateau, à toute heure du jour et de la nuit. Leurs bases d’entraînement ont été installées dans un Etat d’Amérique centrale, et les points d’em­barquement et les aérodromes dans un autre.

Le 15 avril 1961, par une aube tranquille et sans nuages, des bombardiers yankees peints aux insignes cubains ont attaqué les bases de nos forces aériennes, constituées par quelques rares avions, vieillots et mal en point, et par seulement une demi-douzaine de pilotes. Le représentant des Etats-Unis auprès des Nations unies y déclarait avec un cynisme sans égal que ces avions faisaient partie de nos forces aériennes qui s’étaient soulevées.

Tout s’est déroulé avec le silence complice et bien souvent la collaboration de la majorité des gouvernements latino-américains, avec l’approbation et l’appui de cette OEA immonde et répugnante. Jamais dans l’histoire de notre continent, on n’avait fait preuve de tant de corruption, de cy­nisme, de lâcheté, d’immoralité et de forfaiture pour réaliser une action militaire et politique. Voilà ce que symbolise l’attaque mercenaire de la Baie des Cochons. Aujourd’hui, on connaît en dé­tail tous ces faits, y compris grâce aux révélations des auteurs et des participants directs. L’histoire de l’impérialisme s’écrit ainsi, sans que celui-ci et ses misérables complices, malgré les confessions opportunistes auxquelles ils se voient contraints, cherchent en quoi que ce soit à s’amender. Girón, Watergate, le prétendu incident du golfe du Ton­kin, les plans d’assassinats de dirigeants étran­gers, la déstabilisation des gouvernements réali­sée par la CIA, les coups d’Etats fascistes, les pratiques universelles de corruption de gouver­nants et de fonctionnaires instaurées par les grands monopoles yankees et d’autres faits de même nature, que l’opinion mondiale connaît aujourd’hui, prouvent que de telles pratiques continueront tant que l’impérialisme existera.

Les Etats-Unis ont quadrillé le monde entier d’un système de pactes militaires, de bases d’agression, de centres de corruption, de suborna­tion, de propagande subversive et d’espionnage, d’actions ouvertes ou dissimulées, de terreur et de menaces, dont l’impérialisme ne saurait se passer en vertu de sa nature rapace et exploi­teuse.

Les Etats-Unis dépensent aujourd’hui plus de 120 milliards de dollars dans ces institutions de guerre, d’agression, d’espionnage et de suborna­tion, soit le double de tous les budgets publics réunis des pays latino-américains.

L’expérience démontre toutefois que l’impérialis­me ne peut arrêter la marche victorieuse des peuples en dépit de ces ressources fabuleuses mises au service de la réaction, de la subversion et du crime. Girón, le Viet Nam, le Laos, le Cam­bodge, la Guinée-Bissau, le Mozambique, l’An­gola et d’autres exemples semblables sont des preuves irréfutables de cette vérité.

Tantôt l’impérialisme arrête le processus de libé­ration dans certains pays, comme au Chili ; tantôt il fomente des coups d’Etat ou pousse certains gouvernements à la trahison, soit pour écraser les révolutionnaires d’un pays donné, soit pour diviser les forces progressistes, comme on peut le voir au sein du mouvement nationaliste arabe. Tous ceux qui, au coeur même du mouvement révolutionnaire, trahissent les principes de l’in­ternationalisme prolétarien par vanité, par inconsistance idéologique, par ambitions person­nelles ou par simple décadence et sénilité, comme dans le cas de la clique orgueilleuse et démente qui régit les destinées de la Chine, ceux-là font impudemment le jeu de cette stratégie. Mais ces succès de l’impérialisme sont absolument passagers. Aucune politique impérialiste, aucune lâcheté, aucune trahison ne pourra arrêter la marche inexorable de l’histoire et la victoire des idées révolutionnaires.

Aucune œuvre humaine n’est parfaite, pas plus d’ailleurs que les révolutions faites par les hommes avec leurs limitations et leurs imperfections.

La marche de l’humanité vers l’avenir doit néces­sairement passer par des expériences douloureuses, mais cet avenir appartient aux principes, à la solidarité révolutionnaire entre les peuples, au socialisme, au marxisme-léninisme et à l’in­ternationalisme.

Cette option entre le passé et le futur, entre la réaction et le progrès, entre la trahison et la loyauté aux principes, entre le capitalisme et le socialisme, entre la domination impérialiste et la libération, voilà se qui se jouait à Girón, en ce 19 avril 1961. Trois jours avant, devant les tombes des premiers martyrs de la brutale agres­sion, le peuple avait proclamé le caractère socia­liste de notre Révolution, et les hommes et les femmes de notre patrie étaient prêts à mourir pour elle. Personne ne connaissait le nombre de mercenaires ; personne ne savait combien de mari­nes et de soldats yankees viendraient à leur suite; combien d’avions, combien de nouveaux bombar­dements il faudrait supporter. Jamais avant, le mot d’ordre de « la Patrie ou la Mort » n’a été aussi dramatique, aussi réel et aussi héroïque. La décision de mourir ou de vaincre, que tout un peuple faisait sienne, l’emportait sur tous les ris­ques, toutes les souffrances et tous les dangers. Aussi cette date a-t-elle été doublement histori­que, parce que c’est à partir de Girón qu’est réellement né notre parti marxiste-léniniste, c’est à partir de cette date qu’a démarré le militantisme dans notre parti, c’est à partir de cette date que le socialisme a été fondé à jamais sur le sang de nos ouvriers, de nos paysans et de nos étudiants, c’est à partir de cette date que la destinée des peuples de ce continent a changé, grâce à la liberté et à la digni­té auxquelles l’un d’entre eux accédait face à l’agression du puissant· empire qui les asservis­sait tous. A partir de Girón, quoi qu’on dise, les peuples d’Amérique ont été un peu plus libres.

Le spectacle d’un peuple courageux, héroïque et victorieux a ébranlé et bouleversé jusqu’en leurs fondements la psychologie politique, les vieux schémas et les habitudes de penser sur ce continent. Le gouvernement des Etats-Unis lui-même a été contraint d’élaborer de nouvelles politiques et de nouvelles méthodes pour freiner l’avance révolutionnaire. L’Alliance pour le Progrès a vu le jour, et maints gouvernements de ce continent, qui n’avaient jamais fait l’objet de la moin­dre considération, ont été reçus avec tous les honneurs à la Maison-Blanche, se sont vus· octroyer des prêts à long terme et des crédits ban­caires. Un bon nombre de gouvernements bourgeois d’Amérique latine ont même capitalisé le sang de ceux qui sont tombés à Girón, comme ils avaient auparavant capitalisé les agressions contre notre quota sucrier. Des mots comme réforme agraire, réforme fiscale, redistribution des revenus, plans de logements, d’éducation et de santé publique pour les peuples d’Amérique latine, des mots totalement absents du vocabu­laire de Washington, sont devenus à la mode. Pris de panique, les impérialistes, les latifundiai­res et les bourgeois ont élaboré toute une philosophie pour empêcher la révolution sociale en Amérique latine. Au Chili, ils ont inventé la « révolution dans la liberté » pour prouver qu’il était possible de faire régner la justice sociale sans le socialisme, autrement dit pour prouver que la justice peut exister sous la domination im­périaliste, le système capitaliste, la dictature de la bourgeoisie et l’exploitation de l’homme par l’homme.

L’impérialisme, après tous ces essais trompeurs, ridicules et utopiques, n’a plus d’autre choix que le fascisme. Les peuples comprennent cette vérité claire et nue. Il n’existe même plus aujourd’hui de modèle classique de « démocratie représenta­tive », comme l’ont été pendant longtemps, pour la joie des libéraux et des ignorants, l’Uruguay et le Chili. Il n’y a plus que dictature fasciste, tortures et crimes. Et qu’est-ce donc, sinon la seule antichambre possible des changements véritablement radicaux et profonds dont nos peuples ont besoin ? Après le fascisme, que reste-t-il d’autre à l’impérialisme ?

Tout en fêtant ce quinzième anniversaire de la victoire héroïque et glorieuse de Girón, notre peuple a un motif supplémentaire d’orgueil, qui découle de son action internationaliste la plus belle et qui dépasse les frontières de ce continent : la victoire historique du peuple angolais auquel notre Révolution a offert sa solidarité généreuse et inconditionnelle.

Du sang africain a coulé à Girón, celui des des­cendants pleins d’abnégation d’un peuple qui a été esclave avant d’être ouvrier et qui a été ouvrier exploité avant d’être maître de sa patrie. Et du sang cubain a coulé à côté de celui des combattants héroïques d’Angola, celui des enfants de Martí, de Maceo et d’Agramonte, de ceux qui ont hérité du sang internationaliste de Gómez et de Che Guevara. Ceux qui ont réduit autrefois l’homme en esclavage et l’ont envoyé en Amérique n’auraient sans doute jamais imaginé qu’un de ces peuples qui a accueil­li les esclaves enverrait ses combattants lutter pour la liberté de l’Afrique.

La victoire de l’Angola a été la soeur jumelle de la victoire de Playa Girón. L’Angola représente pour les impérialistes yankees un Girón africain. Nous avons dit à un moment donné que l’impérialisme avait essuyé ses grandes défaites au mois d’avril : Girón, le Viet Nam, le Cambodge, etc. Cette fois, la défaite est survenue en mars. Quand, le 27 de ce mois, les derniers soldats sud-africains repassaient la frontière de la Namibie après une re­traite de plus de sept cents kilomètres, l’Afrique noire écrivait une des plus brillantes pages de sa libération.

Ford et Kissinger enragent devant cette défaite. Et, tels deux émules de Jupiter tonnant, ils ont proféré des menaces apocalyptiques contre Cuba.

Au cours d’un meeting bassement électoraliste à Miami, Ford, anxieux d’obtenir les votes des apatrides contre-révolutionnaires cubains et de les enlever à son rival Reagan qui, pour être juste, est bien plus réactionnaire que lui, a qualifié le Premier ministre de Cuba de délinquant international en raison de l’aide apportée par notre peu­ple à l’Angola. Certains journalistes des Etats-Unis se sont même étonnés que de semblables épithè­tes puissent tomber des lèvres illustres de mon­sieur Ford. Mais il y a mieux. Pour donner sans doute une preuve de son niveau culturel, qui est déjà devenu proverbial, Ford a déclaré à une occasion que l’action de Cuba en Angola ressemblait à ce qui s’était passé en Ethiopie à l’époque de Mussolini. Et, peu après, pour ne pas en rester à cette comparaison historique originale, il l’a comparée au démembrement de la Tchécoslova­quie par Hitler au moment de Munich.

En réalité, la guerre d’Angola a été la guerre de Kissinger. Passant outre aux avis de quelques-uns de ses plus proches collaborateurs, il s’est en­têté à mener des opérations dissimulées pour liquider le MPLA, par l’intermédiaire des groupes contre-révolutionnaires FNLA et UNITA, et avec le soutien de mercenaires blancs, du Zaïre et de l’Afrique du Sud. On raconte que la CIA elle-même l’aurait averti qu’il serait impossible de garder secrètes ces opérations clandestines. Outre que le FNLA a été appuyé par la CIA dès sa fonda­tion, un fait reconnu publiquement, les Etats-­Unis ont dépensé depuis le printemps 1975 des dizaines de millions de dollars pour livrer des armes et des instructeurs aux groupes contre-­révolutionnaires et scissionnistes d’Angola. Des troupes régulières du Zaïre, poussées par les Etats-Unis, sont entrées en Angola dès l’été de cette même année, tandis que des forces militaires d’Afrique du Sud occupaient la région de Cunene au mois d’août et envoyaient des armes et des instructeurs aux bandes de l’UNITA.

A ce moment-là, il n’y avait pas un seul instructeur cubain en Angola. La première aide matérielle et les premiers instructeurs cubains sont arrivés en Angola début octobre à la demande du MPLA, alors que l’Angola était envahi par des forces étrangères. Or, aucune unité militaire cubaine n’avait été envoyée en Angola pour participer di­rectement à la lutte et il n’était pas prévu de le faire.

Le 23 octobre, également sous la pression des Etats-Unis, des troupes régulières de l’armée sud-africaine, soutenues par des tanks et par l’artil­lerie, ont envahi le territoire angolais à partir des frontières namibiennes et ont profondément pé­nétré dans le pays, à raison de soixante à soixante-dix kilomètres par jour. Le 3 novembre, elles s’étaient enfoncées à plus de 500 kilomètres en Angola, se heurtant aux environs de Benguela à la première résistance, offerte par le personnel d’une école de recrues angolaises récemment organisée et par leurs instructeurs cubains, qui ne possédaient pratiquement aucun moyen d’arrê­ter l’attaque des chars, de l’infanterie et de l’artillerie sud-africaine.

Le 5 novembre 1975, à la demande du MPLA, la direction de notre Parti a décidé d’envoyer de toute urgence un bataillon de troupes réguliè­res dotées d’armes antitanks pour appuyer la résistance des patriotes angolais à l’invasion des racistes sud-africains. Voilà quel­le a été la première unité de troupes cubaines à être envoyée en Angola. Quand elle est arrivée, les interventionnistes étrangers se trouvaient, au nord, à 25 kilomètres de Luanda, leurs canons de 140 mm bombardaient les environs de la capi­tale, les fascistes sud-africains avaient pénétré par le Sud, depuis les frontières namibiennes, à plus de 700 kilomètres, tandis que les combat­tants du MPLA et une poignée d’instructeurs cubains défendaient héroïquement Cabinda.

Je n’ai pas l’intention de relater les événements de la guerre d’Angola, tout le monde connaissant à grands traits son déroulement ultérieur, mais de souligner pour quelle raison, sous quelle for­me et dans quelles circonstances a commencé no­tre aide. Ces faits sont rigoureusement historiques.

L’ennemi a mentionné le nombre de Cubains pré­sents en Angola. Qu’il suffise de dire qu’une fois la lutte commencée, nous avons envoyé les hom­mes et les armes indispensables pour la mener à bien. En honneur à notre peuple, nous devons dire que des centaines de milliers de combattants de nos troupes réguliè­res et de notre réserve étaient disposés à lutter aux côtés de leurs frères angolais.

Nos pertes ont été minimes. Bien que la guerre se soit déroulée sur quatre fronts et que nos combattants aient participé aux côtés des héroïques soldats du MPLA à la libération dé presque un million de kilomètres carrés occupés antérieurement par les interventionnis­tes et leurs sbires, moins de soldats cubains sont morts au cours des actions en Angola, qui ont duré plus de quatre mois, que durant les trois journées de combat à Girón.

Cuba a pris cette décision sous son entière res­ponsabilité. L’URSS, qui a toujours soutenu les peuples des colonies portugaises dans leur lutte pour l’indépendance, offert à l’Angola agressé une aide fondamentale en matériel militaire et parti­cipé à nos efforts quand l’impérialisme nous avait pratiquement coupé toutes les voies d’accès aériennes à l’Afrique, l’URSS, donc, n’a jamais demandé l’envoi d’un seul soldat cubain à ce pays. L’URSS fait preuve d’un respect et d’un tact extraordinaires dans ses relations avec Cuba. Seul notre Parti pouvait prendre une décision de cette nature.

Ford et Kissinger mentent au peuple étasunien et à l’opinion mondiale en prétendant rejeter sur l’Union soviétique la responsabilité des actions solidaires de Cuba en Angola.

Ford et Kissinger mentent en s’entêtant à vou­loir faire retomber la responsabilité de la défaite des interventionnistes en Angola sur le Congrès des Etats-Unis, pour avoir bloqué l’octroi de nouveaux fonds aux bandes contre-révolutionnaires du FNLA et de l’UNITA. Le Congrès a adopté ces mesures les 16, 18 et 19 décembre. A cette date, la CIA avait déjà envoyé des armes en abondance, les troupes du Zaïre avaient été repoussées à Luanda, Cabinda avait été sauvée, les Sud-Afri­cains piétinaient sur les rives du fleuve Queve, en proie à la démoralisation, et aucun envoi d’ar­mes de la CIA n’aurait pu dévier le cours inexo­rable des événements. Elles seraient aujourd’hui entre les mains des forces révolutionnaires, com­me tant d’autres qui ont été fournies antérieu­rement.

Ford et Kissinger mentent au peuple des Etats­-Unis et, en particulier, à la population noire de ce pays, en occultant le fait que les troupes fas­cistes et racistes de l’Afrique du Sud ont criminellement envahi le territoire angolais bien avant que Cuba n’y ait envoyé d’unité régulière de soldats.

Il y a encore quelques autres mensonges profé­rés par Ford et Kissinger au sujet de l’Angola, mais ce n’est pas le moment de les analyser.

Ford et Kissinger savent pertinemment que tout ce que je dis est vrai. Je ne prononcerai pas, en raison de la solennité de cette réunion, le quali­ficatif que méritent les épithètes insolentes de Ford à l’occasion de ses campagnes politicardes dans le Sud des Etats-Unis et d’autres faits tout aussi cyniques de sa politique impériale. Je me contenterai de dire pour le moment que c’est un vulgaire menteur.

Il ne fait pas de doute qu’il s’est passé en Angola quelque chose de ressemblant à l’affaire d’Ethiopie, mais à l’envers. Dans le cas qui nous occupe, les impérialistes, les racistes, les agresseurs sym­bolisés par la CIA, les troupes sud-africaines et les mercenaires blancs n’ont pas remporté la vic­toire ni occupé le pays ; la victoire, ce sont les agressés, les révolutionnaires, le peuple noir et héroïque de l’Angola qui l’ont remportée.

Il s’est passé en Angola ce qui s’est passé en Tchécoslovaquie au moment de Munich, mais également à l’envers : le peuple agressé a béné­ficié de la solidarité du mouvement révolution­naire, et les impérialistes et les racistes n’ont pu démembrer le pays, ni se partager ses richesses, ni assassiner ses meilleurs enfants. L’Angola est uni, entier, et c’est aujourd’hui un bastion de la liberté et de la dignité en Afrique. La croix gam­mée des racistes sud-africains n’ondoie pas sur le palais de Luanda.

Qu’il étudie un peu d’histoire non falsifiée et qu’il tire les conclusions correctes de ses leçons, voilà ce que nous conseillons à monsieur Ford.

Après la défaite impérialiste en Angola, c’est à peine si le sieur Kissinger a assez de temps pour courir d’un endroit à l’autre afin de fomenter la crainte de la Révolution cubaine. Il vient à peine de terminer une visite dans une bonne demi-­douzaine de pays latino-américains qu’il annonce déjà une nouvelle tournée dans de nombreux pays d’Afrique, un continent qu’il daignait à pei­ne regarder avant son Girón africain.

Aucun pays d’Amérique latine, quel que soit son régime social, n’a rien à craindre des forces armées de Cuba. Nous croyons fermement que chaque peuple doit être libre de construire son propre avenir ; que chaque peuple, et seulement le peuple de chaque pays, doit faire et fera sa révolution. Le gouvernement de Cuba n’a jamais pensé amener la révolution dans un pays de ce continent avec les armes de ses unités militai­res. Une telle idée serait absurde et ridicule. Ce n’est pas Cuba qui a enlevé au Mexique la plus grande partie de son territoire, ni n’a débarqué 40 000 marines pour écraser la révolution en République dominicaine, ni n’occupe un morceau de territoire panaméen, ni n’opprime un pays latin à Porto Rico, ni ne projette d’assassiner les dirigeants étrangers, ni n’exploite les richesses et les ressources naturelles d’un peuple quelconque de ce continent.

Aucun pays de l’Afrique noire n’a rien à craindre du personnel militaire cubain. Nous sommes un peuple latino-africain, ennemi du colonialisme, du néo-colonialisme, du racisme et de l’apartheid, que l’impérialisme yankee protège et· couvre.

Le bruit court que Kissinger veut rencontrer en Afrique les représentants des mouvements de libération de ce continent. Tout est possible en effet en Afrique noire, après le Girón angolais ! Mais quelle espèce de paro­les hypocrites, cyniques et pharisaïques Kissin­ger peut-il bien adresser aux mouvements de li­bération africains, aux représentants des peuples opprimés de Rhodésie, de Namibie et d’Afrique du Sud, lui, le représentant .de l’empire qui a appuyé sans aucun scrupule le colonialisme por­tugais et qui, aujourd’hui, protège, couvre et soutient économiquement et politiquement les racistes sud-africains et rhodésiens, violant im­pudemment les accords et les résolutions des Nations unies ?

Ford et Kissinger sont des adeptes impénitents du chantage et de la menace comme instrument de politique extérieure. Il n’est pas si éloigné le temps où ils menaçaient militairement les pays pétroliers. Ils utilisent actuellement le même lan­gage cynique et impudent contre Cuba. Ce ne sont pas les premiers dirigeants yankees à recourir inutilement à ces pratiques d’intimidation contre notre patrie. Eisenhower, Kennedy, John­son et Nixon ont, à tour de rôle, essayé d’intimi­der Cuba. A tour de rôle, sans exception, ils ont sous-estimé la Révolution cubaine et, à tour de rôle, ils se sont trompés. On ne peut intimider Cuba avec des menaces belli­queuses. Une guerre contre Cuba, on sait quand et comment elle peut commencer – quatre dé­ments peuvent la décider – mais ce qu’on ne sait pas, c’est quand et comment elle peut pren­dre fin.

Seuls les peuples sans dignité peuvent se laisser intimider. Nous avons vécu la crise d’Octobre 1962, et des dizaines d’armes atomiques pointées contre Cuba n’ont pas fait reculer notre patrie, même pas les enfants. Le peuple cubain peut répondre aux menaces de Kissinger en citant ces vers classiques d’un poète espagnol:

Et si je péris

qu’est-ce que la vie ?

Je l’ai donnée

pour perdue

quand j’ai secoué

comme un vaillant

le joug

de l’esclave.

Les impérialistes yankees possèdent des cen­taines de milliers de soldats à l’étranger ; ils pos­sèdent des bases militaires sur tous les conti­nents et sur toutes les mers. On compte par dizaines et par centaines leurs installations militaires en Corée, au Japon, aux Philippines, en Turquie, en Europe de l’Ouest, à Panama et en bien d’autres endroits. Ils occupent de force un morceau de notre territoire, à Cuba même.

De quel droit moral et légal protestent-ils parce que Cuba envoie des instructeurs et une aide pour préparer techniquement les armées dans des pays d’Afrique et d’autres parties du monde sous-développé qui en font la demande ?

De quel droit critiquent-ils l’aide solidaire que nous offrons à un peuple frère d’Afrique criminellement agressé, comme l’Angola?

Ça les fait enrager, les impérialistes, que Cuba, le pays agressé et bloqué, le pays qu’ils ont vou­lu détruire voilà quinze ans moyennant une in­vasion mercenaire, soit aujourd’hui un bastion solide et inexpugnable du mouvement révolution­naire mondial dont l’exemple de courage, de di­gnité et de fermeté stimule les peuples qui luttent pour leur libération.

Par ailleurs, notre action révolutionnaire ne mé­connaît pas le rapport des forces mondial ni les intérêts de la paix internationale. Nous ne som­mes pas des ennemis de la détente et de la coexistence pacifique entre Etats à systèmes sociaux différents, si elles sont basées sur le respect ab­solu des normes du droit international. Nous serions même prêts à établir des relations nor­males avec les Etats-Unis sur la base du respect mutuel et de l’égalité souveraine, sans renoncer à un seul de nos principes et sans cesser de lutter pour que les normes de la coexistence pacifique et le respect des droits de chaque nation soient appliqués à l’échelle internationale à tous les pays du monde, sans exclusion.

Les Etats-Unis occupent à Guantánamo une par­tie de notre territoire ; les Etats-Unis maintien­nent depuis plus de quinze ans un blocus crimi­nel contre notre patrie. Cuba ne se courbera jamais devant cette politique impérialiste d’hos­tilité et de force et luttera contre elle inlassable­ment. Nous avons dit qu’il ne saurait exister de relations tant qu’il y aura un blocus. Personne ne peut négocier avec un couteau sous la gorge. Qu’importe si nous restons encore vingt ans sans relations avec les Etats-­Unis ! Nous avons appris à nous en passer et, en nous appuyant sur notre amitié solide et indestructible avec l’URSS, nous avons plus progressé du­rant ces dernières années que n’importe quel autre pays d’Amérique latine. A supposer que le commerce avec les Etats-Unis puisse impliquer quelques avantages et un rythme un petit peu plus rapide de développement, nous préférons marcher plus lentement, mais le front haut et les drapeaux de la dignité claquant à tous vents. Nous n’échange­rons pas notre droit d’aînesse révolutionnaire, celui d’être la première révolution socialiste dans le continent américain, pour un plat de lentilles. A l’instar des chrétiens, nous pouvons dire que l’homme ne vit pas seulement de pain.

Il y a quelques jours, en coïncidence avec les menaces yankees de Ford et de Kissinger, des bateaux pirates dont les équipages – tout le mon­de le sait – résident aux Etats-Unis, ont attaqué deux bateaux de pêche cubains. Un modeste tra­vailleur de la mer a été, une fois encore, sauvagement assassiné. Cette action constitue une vio­lation flagrante du Mémorandum d’accord sur la piraterie aérienne entre Cuba et les Etats-Unis. Si de telles actions continuent et si leurs auteurs ne sont pas punis de façon exemplaire, nous donnerons cet accord pour terminé. Que le gouvernement des Etats-­Unis ne vienne pas alléguer ensuite qu’il n’a pas été averti à temps des conséquences de ses actes irresponsables.

Bien du temps s’est écoulé depuis Girón. Nos Forces armées révolutionnaires possèdent actuellement un potentiel incomparablement supé­rieur. Nos soldats, nos sous-officiers et nos officiers ont acquis une préparation bien supérieure. Plus d’un demi-million d’hommes forment la réserve de nos unités militaires. Le matériel le plus moderne, fourni par l’Union soviétique, renouvelle et perfectionne sans cesse nos moyens de combat. Le pays est beaucoup plus fort dans tous les domaines. No­tre Parti, virtuellement né, comme je l’ai dit, au moment de Girón, est aujourd’hui une organi­sation d’avant-garde formidable et aguerrie. Le peuple et l’Etat s’organisent sur des bases tou­jours plus vastes et plus solides. Qui tente de s’emparer de Cuba, comme l’a dit Maceo, n’em­portera que la poussière de son sol baigné de sang, s’il ne périt dans la lutte !

Inclinons nos fronts, en signe de respect et de gratitude éternelle, devant les héros qui ont ren­du possible, grâce à la victoire d’il y a quinze ans, la patrie digne, courageuse et indestructible d’aujourd’hui.

Patria 0 Muerte !

Venceremos !

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