Allocutions et interventions

Discours prononcé par Fidel Castro Ruz, premier secrétaire du Comité central du Parti communiste de Cuba, président du Conseil d'Etat et du Conseil des ministres, à la clôture du Huitième Congrès de la Fédération latino-américaine des journalistes (FELAP), au Grand Amphi de l'université de La Havane, le 12 novembre 1999

Date: 

12/11/1999

Chers lecteurs de Granma,

C'est parce que je me sens en quelque sorte en dette envers les membres de l'Union des journalistes de Cuba et ceux de la Fédération latino-américaine des journalistes que j'adresse à votre journal le discours de nature familiale et quasi confidentiel que j'ai prononcé au Grand Amphi de l'université de La Havane, le 12 novembre 1999, dont j'ai soigneusement révisé certaines parties les plus délicates. Je prends sur moi tout ce que j'y ai dit.

Fidel Castro





Chers amis,

Cette occasion-ci sera différente. J'ai tenté de savoir ce qu'il s'était passé ces jours-ci, mais c'est vous-mêmes qui ne m'avez pas permis de m'en informer. Je suis en effet arrivé à l'heure, peut-être même avec une minute d'avance et en fonçant plus de coutume, et j'avais l'espoir que Tubal (Tubal Páez, président de l'Union des journalistes de Cuba) m'expliquerait comment vous aviez travaillé, quel était votre programme de ce soir - personne ne le savait, même pas lui (rires). On me disait que le congrès de la Fédération latino-américaine des journalistes prenait fin et que s'inaugurait la rencontre des journalistes espagnols et latino-américains. Je parle d'inauguration parce qu'on l'a annoncée. Il y a deux Portugais et un Espagnol, je crois.

J'essayais donc de comprendre cette histoire de deux congrès et je lui demande: «Il y a un discours ?» Il me répond : «Non, pas de discours, une chorale.» Je ne pouvais donc pas me faire une petite idée de la question, avoir un peu d'information. Tout ce que j'ai pu savoir, autour de sept heures et demie, c'est à peine quelques détails, et rien de plus. Je savais en tout cas que le congrès de la FELAP prenait fin, un peu à travers la presse et par la télévision que j'ai pu voir quelques minutes. Je demande : «Et où ?» On me dit : «Au Grand Amphi de l'Université.» Je me demandais pourquoi et je me dis : «Les a-t-on délogés du palais des Congrès ?» (Rires.) «Ou alors à cause du très grand symbolisme que revêt le Grand Amphi ?» Et je me suis réjouis de savoir que c'était pour ça. Alors je me suis dit : «Je voudrais y aller au moins quelques minutes, juste pour les saluer.» Uniquement pour l'estime et l'affection que je voue à votre organisation ? Non, pas seulement pour ça. Mais pour l'importance plus grande que jamais qu'elle revêt de mon point de vue.

Je sais que certains journalistes ont eu des doutes au sujet de son rôle, de ses possibilités, de ses perspectives, je sais qu'elle est petite et qu'elle a très peu de ressources, mais je pense que si vous le souhaitez, que si vous vous le proposez et que nous nous le proposions tous, votre organisation peut devenir l'instrument dont nous avons toujours plus besoin.

J'ai eu le privilège de participer, voilà environ sept mois, au congrès des journalistes cubains. Il y avait eu avant le congrès des écrivains et artistes de notre pays, quelques semaines avant, pourrait-on dire, et je peux vous assurer que je n'avais pas eu l'occasion, tout au long de ces années de Révolution, de participer à deux réunions aussi fécondes que celles-là, qui étaient en fait les congrès périodiques des deux organisations dans le premier semestre de cette année-ci. Et qui ont discuté, mais alors ce qui s'appelle discuter, des problèmes et des questions de toute sorte.

Je comprends bien qu'il est difficile d'être journaliste dans un pays socialiste, dans notre propre pays, mettons, où les médias, où les organes de diffusion ne sont la propriété privée de personne, mais sont la propriété - je ne vais pas dire : de l'Etat, parce que la définition serait imprécise, et que l'État est une institution de plus en plus calomniée - de peuple, selon notre conception. Cela peut paraître une phrase, un mot, un slogan. En tout cas, le plus difficile est peut-être d'utiliser d'une manière efficace et optimale ces médias qui sont du peuple et qui sont associés de très près à cette chose qu'on appelle l'Etat.

Le grande rêve de la réaction, tout au long de ce siècle, tout au long du développement du capitalisme, a été d'arriver à prouver que l'Etat ne sert absolument à rien, même si elle sait pertinemment à quoi il sert. L'Etat est inefficace, l'Etat est un désastre, selon la philosophie de ces secteurs réactionnaires. Il faut le discréditer, et j'en conviendrais même. Tout dépend de quel Etat il s'agit.

L'Etat, qui est appelé à jouer un rôle fondamental à une époque de transition historique, est une institution indispensable, absolument indispensable. Dans ce sens, ce que nous voudrions voir disparaître, nous, c'est les points faibles de l'Etat que nous, les révolutionnaires, nous n'avons pas été capable de mieux construire. Le vieil Etat des capitalistes, celui des exploiteurs, voilà celui que nous aimerions voir disparaître une bonne fois pour toutes. Car il y en a deux sortes, deux conceptions différentes, diamétralement opposées : cet Etat pervers à eux, si bien huilé, et notre Etat à nous, inefficace. En fin de compte, quand chacun aura accompli sa mission, comme le rêvait Marx, eh bien, qu'ils dépérissent tous les deux ! Une des choses qui m'a attiré le plus dans le marxisme, c'est l'idée qu'un jour, l'Etat n'existera plus, qu'une fois sa mission conclue, cet instrument qui devrait servir à créer une société nouvelle n'aurait plus de raison d'être.

On trouve bien des rêves dans le marxisme. Rassurez-vous, je ne vous donne pas une conférence sur le marxisme, tant s'en faut, je ne le défends même pas, je faisais juste une petite réflexion sur un rêve. Un rêve, pas une utopie. Il y a une différence entre l'un et l'autre, et parfois aussi beaucoup de ressemblance.

Martí a dit un jour que les rêves d'aujourd'hui seraient les réalités de demain. Il faut toujours commencer par rêver, il faut commencer par créer des utopies. Et c'est quelqu'un qui a commencé par être utopique qui vous parle. Utopique à son compte, ce qui est le plus curieux. Quand j'ai commencé à réfléchir sur les problèmes de la société que je connaissais, je crois que je ne savais rien des utopiques, mais le fait est que j'ai commencé par en être un, par être un rêveur. Et je crois être aujourd'hui tout à la fois un réaliste, un rêveur et un utopique. Tout part d'une foi : la foi en l'homme. Et si elle existe, alors vous vous convainquez qu'il n'existe pas de rêves ni d'utopies qui ne peuvent se réaliser.

Qu'il nous semble loin, le communisme, et qu'il est loin de fait ! Qu'elle est loin, cette formule de distribution des biens : «De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins.» Que nous sommes loin de cette belle formule ! Et qu'il a été sage, Marx, de parler de deux étapes, une socialiste et une autre communiste, la première présidée par la formule : «De chacun selon ses capacités; à chacun selon son travail.» Une formule simple, toute simple. Il a été sage, parce que c'est pratiquement la seule pour laquelle on puisse lutter de nos jours, parce que c'est une voie nécessaire dont on ne peut s'écarter et qui nous paraissait pourtant à nous, qui sommes tombés amoureux de la formule communiste, injuste. Pour moi, la formule socialiste est forcément injuste, mais elle vaut infiniment mieux que celle de la répugnante société capitaliste où ceux qui contribuent vraiment par leur travail touchent une misère, tandis que les plus gros fainéants de la société reçoivent tout.

Oui, en effet, vous êtes vous aussi des prolétaires, ne vous étonnez pas de ce que je dis. Vous êtes des prolétaires du travail intellectuel, des prolétaires de la pensée, des prolétaires des idées, des prolétaires en matière de confection de messages. Vous êtes même des prolétaires quand vous partez en courant apporter un reportage à votre journal, et avant, quand les ordinateurs n'existaient pas, en tapant comme des sourds sur une machine à écrire. Vous êtes aussi des ouvriers salariés.

Y a-t-il ici quelqu'un de la SIP, de la fameuse Association interaméricaine de la presse ? Dites-le-moi franchement ! J'imagine que, comme journalistes, vous vivez de votre travail et qu'on vous paye pour cela quelque choses, les uns plus, les autres moins. Vous êtes donc des ouvriers salariés. Selon la formule socialiste, peut-être selon vos capacités, et comme les capacités ne sont pas les mêmes chez tous, ceux qui en ont plus toucheront bien plus. Certains peuvent avoir bien moins de capacités, mais bien plus d'enfants, bien plus de besoins, et on ne pourrait donc pas parler en fin de compte d'une société juste. C'est en tout cas ce qu'il vous arriverait dans le socialisme. Sous le capitalisme, nous savons bien ce qu'il vous arrive.

Ces réflexions - sur lesquelles je ne veux pas m'étendre - serviront peut-être à vous expliquer le bonheur énorme que j'ai senti au congrès dont je vous ai parlé et qui s'est tenu au premier semestre, quand j'ai pu constater avec plus de clarté que jamais - et bien des années de Révolution se sont écoulées - à quel point le rôle de la presse sous le socialisme peut être décisif, comment elle doit fonctionner et quelles possibilités immenses, infinies elle a ! Soudain, ce genre de choses vous apparaît en tout clarté.

Il a fallu quarante ans de Révolution, il a fallu des expériences de toute sorte, il a fallu une Période spéciale, il a fallu une énorme bataille idéologique, il a fallu nous retrouver dans ce monde qu'on dit mondialisé et où, entre autres choses, le plus mondialisé sont la désinformation et le mensonge !

Peut-être faut-il des circonstances comme celles-ci pour comprendre mieux que jamais ce que valent les médias quand ils sont au service du capitalisme et de l'impérialisme, qui ont subsisté en grande partie pour des facteurs subjectifs. Et j'ai l'impression que ça, les capitalistes l'ont découvert avant les marxistes.

Pour moi, les facteurs subjectifs ont aussi une importance énorme. L'histoire ne progresse pas d'une manière linéaire, elle avance, elle recule, elle repart en avant au milieu de reculs plus ou moins importants.

Voilà quelques jours, j'ai longuement discuté avec nos journalistes de ces questions. Les capitalistes ont découvert la valeur des facteurs subjectifs et ont constaté que les médias étaient l'instrument parfait pour influer de façon écrasante ces facteurs subjectifs qui constituent des ingrédients inéluctables de l'histoire, des avancées historiques, ou du maintien de systèmes pourtant iniques, exploiteurs, monstrueux, qui subsistent jusqu'à ce qu'une crise - qu'on pourrait appeler nucléaire - les coule définitivement.

Et si je dis nucléaire, c'est parce que seulement quand les sociétés accumulent une telle masse de problèmes, elles en deviennent intenables et elles explosent, indépendamment des facteurs subjectifs, indépendamment de la domination écrasante qu'un système peut avoir sur les médias et par laquelle il peut contrôler ces facteurs subjectifs qui, orientés d'une autre manière, pourraient contribuer davantage à accélérer le cours de l'histoire et à faire disparaître un monde plein d'injustices, plein de misères et plein de monstruosités.

Je veux dire par là que les hommes progressistes, les hommes qui souhaitent un monde meilleur - hommes et femmes, bien entendu - doivent comprendre l'importance de ces instruments par lesquels se forment des consciences et qui peuvent convertir ces facteurs subjectifs en outils décisifs de la marche des événements historiques.

Ces vérités sont devenues évidentes pour moi à cette réunion dont je vous ai parlé. Bien entendu, ça n'a pas été une découverte de ce jour-là en particulier, mais le produit de la bataille que nous étions en train de livrer, le fruit de ma lecture quotidienne - et ce depuis bien des années - de dépêches portant sur tous les événements survenant dans le monde, dans ce monde si mondialisé que lorsqu'un chat meurt à un coin de rue du Caire, par exemple, cela devient une nouvelle. Et cette lecture pour quelqu'un qui passe deux ou trois heures par jour à s'informer et à analyser de ce qui se passe dans le monde, donne une idée de la façon dont fonctionne le mécanisme permettant de semer le mensonge et de répandre la désinformation.

J'ai eu cette possibilité, et je vous livre cette expérience vécue - et vécue plus que jamais en cette époque de crise, d'hégémonie unipolaire et de mondialisation des idées réactionnaires, des mensonges qui se bornaient avant à un pays, ou à un continent, mais qui arrivent maintenant en quelques fractions de seconde à tous les coins du monde.

Le camp socialiste, l'URSS, ce ne sont pas fondamentalement leurs propres erreurs qui les ont détruits, mais cette machine infernale du mensonge, du leurre, de la désinformation. On a fait croire aux gens - et les dirigeants n'ont pas été en mesure de le contrecarrer - que ces sociétés de consommation-là, que ce monde occidental-là était la chose la plus merveilleuse qu'on ait jamais inventée. Ou ces revues, qui gaspillent autant de papier qu'il en suffirait pour apprendre à écrire et à lire dix fois à la population actuelle du monde, consacrées par exemple aux commérages sur ce que font tels ou tels personnages, bourrées d'assez de frivolité pour envoyer en enfer au moins cent fois la population actuelle du monde. Toutes ces choses-là, toute cette propagande-là que ceux qui agissaient au nom des idéaux du progrès n'ont pas été capables de contrecarrer.

Que je sache, l'immense majorité croyait à ces idéaux, mais ils n'ont pas été capables de découvrir ou de développer les moyens, les formes et les procédés pour combattre le torrent de mensonges et d'illusions qui les envahissait de partout. Ils n'étaient pas sots, ceux qui s'obstinaient à faire des émissions de radio comme la Voix des Etats-Unis d'Amérique ou de leurs alliés, afin de faire parvenir à tous les confins du monde et au sein des sociétés socialistes toutes les illusions et tous les mensonges qui ont fini par y aliéner des millions de personnes.

Le fait d'avoir pu découvrir et voir ces choses bien plus clairement n'est le mérite d'aucun de nous, les Cubains. En fait, c'était des pays immenses, où il y avait du schématisme, du dogmatisme, au point de quasiment convertir la doctrine en une religion, du bureaucratisme et des tas d'autres choses qui ont permis ou rendu possible ce recul de l'histoire, qui ont entraîné la destruction de ce qui aurait dû être perfectionné et qui avait beaucoup besoin de l'être. Le facteur principal a été cet instrument si habilement et si efficacement manié par le capitalisme et l'impérialisme.

Je vous disais qu'on engloutit là-dedans des ressources énormes, et je vous parlais de frivolité, de commérages, d'idioties qui empoisonnaient les gens, comme peuvent le faire certains de ces romans extrêmement frivoles qui ravissent, capturent, conquièrent et font prisonniers les esprits de millions de personnes. Voilà comment ils ont aussi manoeuvré et continuent aujourd'hui de manoeuvrer plus que jamais l'esprit, pourrait-on dire, de milliards de personnes.

Pensez un peu à la quantité énorme de papier, des plus luxueux, gaspillée rien qu'en publicité, et les millions d'heures dépensées chaque année dans ce but. Nous, cela fait belle lurette que nous n'avons pas de pub à la radio, dans la presse et à la télévision, et nous avons été obligés ces derniers temps-ci, pour pouvoir retransmettre par exemple une compétition sportive importante, de passer quelques annonces à la télévision. Soudain, au beau milieu d'un match passionnant et tendu, on vous interrompait la transmission pour vous faire l'article de telle ou telle marchandise, d'une voiture, par exemple, des choses que la majorité de notre population n'a pas la moindre possibilité d'acheter ! Et ça a commencé à préoccuper certains. Jusqu'à ce que, à la suite des Jeux panaméricains de Winnipeg - où, soit dit en passant, la corruption et le banditisme dans les sports, comme dans tant d'autres secteurs, ont été plus évidents que jamais - nous avons décidé, même s'il fallait nous couper la main, ou, comme on dit, tuer la poule aux oeufs d'or, de supprimer toute publicité commerciale dans les retransmissions sportives.

J'ai vu parfois des interviews que j'ai données à des télévisions étrangères. C'est vraiment désespérant ! En fait, vous ne le supportez que par habitude, de voir s'interrompre toutes les trois minutes ce que vous êtes en train dire pour laisser la place à une publicité, depuis une crème de beauté ou un ambre solaire pour que votre peau soit plus ou moins bronzée, plus ou moins douce, jusqu'à des parfums ou encore des appareils pour faire des exercices chez vous, comme ci ou comme ça, et tant de gadgets de ce genre qui, moi, en tout cas, me désespèrent. C'est terrible !

Je dirais qu'un citoyen nord-américain ne pourrait plus vivre aujourd'hui sans ces interruptions, parce qu'on a en fait un réflexe conditionné, et si la série télévisée n'est pas interrompue par une pub, alors ça doit lui sembler quelque chose qui manque de motivation, de suspens, d'intérêt, parce qu'il lui faut vivre avec cette angoisse de voir ce que dira aussitôt après ce monsieur qui parlait et ce qu'il se passera de ce qu'on racontait.

Imaginez un peu ce que nous pouvons ressentir, nous, qui avons un petit journal de huit pages et qui n'avons eu pendant des années qu'un seul quotidien, quand nous voyons un journal - et même dans certains de nos pays du tiers monde où il y a tant de faim et de misère, et tant d'enfants dans les rues sans aller à l'école, en train de mendier, ou de nettoyer les pare-brise - de quatre-vingt pages bourrées de pub. Voilà à quoi servent le papier, l'imprimerie et tant d'autres choses. Et je ne parle que de la presse écrite.

Vous cherchez une nouvelle, et vous devez passer trois pages complètes de pubs d'autant de choses dingues qu'on peut inventer dans le monde pour pouvoir trouver l'article qui vous intéresse, et quand vous le trouvez, on vous dit : «à suivre à telle page», et vous devez alors en passer quarante de plus pour continuer de lire ce qui vous intéressait.

En fait, quand on connaît la pauvreté énorme de beaucoup de nos pays et qu'on sait le poison instillé en quantité colossale tous les jours par ces moyens-là, on se prend à penser que le seul intérêt réel de tant de papier, c'est l'utilisation sanitaire qu'on peut en faire.

Il faut se résigner. Vous-mêmes, journalistes, vous devrez vous résigner à ce que, si vous écrivez quelque chose de bon dans ces rares espaces où vous pouvez le faire, vous courriez le même sort qu'une grande partie de ces pubs (rires).

Mieux vaut que je ne m'emballe pas sur ce thème, ou ces thèmes, parce que l'idée que je voulais vous exprimer, c'est l'importance de la presse, ou, pour le dire mieux, l'importance des journalistes ou de ceux qu'on appelle aujourd'hui les communicateurs ou les communicants. Moi, je préfère continuer de vous appeler journalistes, bien que je sois parfaitement capable de comprendre ce que veut dire l'autre terme. Notre université a institué, je crois, la faculté de Communication sociale. Parfait, le nom est bien choisi, pour quand nous finirons de le comprendre exactement. Mais je reconnais qu'il est plus large.

Je vous disais que c'est cela que j'avais vu si clairement à ce congrès, à propos duquel j'essaie de vous dire un certain nombre de choses. Quelles sont nos possibilités, nous, les communicateurs pauvres - et, en ce cas, je n'oserais jamais me targuer d'être un journaliste, bien que j'aie besoin de communiquer; je ne suis pas un communicateur, mais quelqu'un qui a besoin de communiquer - face à cet empire colossal et à la force infinie que possèdent ceux qui font reculer le monde et qui menacent de le conduire à l'extermination, et dont il faut détruire les idées, les conceptions et les mensonges.

À ce moment actuel, quand nous allons entrer dans un autre siècle... Et, à propos, on dit là-dessus un gros mensonge, qui finit par devenir désespérant : on affirme par exemple que le prochain millénaire commence en l'an 2000. C'est peut-être là un mensonge pieux, mais ça reste un mensonge. On voit bien en tout cas où on veut en venir : fêter deux débuts de siècle, et donc deux débuts de millénaire. Et nous, s'ils le veulent nous pouvons le fêter, non en sablant le champagne, mais en dénonçant les choses à dénoncer. On aura droit au 31 décembre de cette année-ci et au 31 décembre de l'année suivante, en 2000, à minuit et une seconde. Et encore, tout dépendra de l'endroit géographique où vous serez. Car tout est si relatif qu'il va se produire en douze heures un tas de nouvel an, un tas de nouveau millénaire, de sorte que chaque citoyen d'un fuseau horaire le fêtera quand celui du fuseau horaire du voisin d'en face ne l'aura pas encore fait. C'est de la pure mathématique. Et je vous le signale comme un exemple, plutôt comique et risible en l'occurrence, des ignorances, des mensonges et des conventions.

Le fait est que les communicateurs peuvent sauver le monde. En tout cas, ceux d'ici s'attachent à sauver un petit pays. Mais un petit pays qui lutte contre le plus puissant empire qui ait jamais existé, contre la plus forte puissance sur tous les plans - économique, militaire, technologique- qui ait jamais existé, avec en plus l'inconvénient pour nous d'être non seulement un de nos voisins des plus proches, mais encore notre ennemi juré. Le hasard semble nous avoir «privilégié» de la sorte.

Nous sommes lancés dans cette lutte, et nous sommes le seul pays du monde auquel cette puissance fait une guerre économique directe. Les autres, elle les met à sac, elle les vole, elle s'en empare rapidement - à bon rythme, pourrait-on dire - grâce aux papiers qu'elle imprime, autrement ses bons du Trésor et ses dollars. Et c'est si vrai que c'est le pays du monde dont les citoyens épargnent le moins, et ils épargnent si peu qu'ils en sont à un taux négatif et qu'ils dépensent mensuellement plus qu'ils ne gagnent. Ce sont ceux qui dépensent le plus et achètent le plus au monde.

Quand le capitalisme a vu le jour, les ressources monétaires et financières nécessaires sortaient censément de l'épargne des bourgeois ou des petits-bourgeois, parce que les pauvres, eux, ne pouvaient jamais épargner quoi que ce soit. Le capital investi sur place ou à l'étranger provenait donc de l'épargne. Aujourd'hui, le capital sort des imprimeries du système de réserve - je crois que c'est là qu'elles se trouvent- des Etats-Unis.

Voyez donc ce monde-ci, voyez donc cet ordre économique mondial, et comprenez donc pourquoi, tant que ces choses arriveront, il devra se produire inévitablement, non des guerres nucléaires, mais des explosions sociales nucléaires, et la crise qui mettra un terme à tout ceci. Que personne n'en doute : tout ceci est insoutenable, par quelque bord que vous l'analysiez.

Voilà pourquoi j'ai parlé - non pour vous couvrir d'éloges, mais pour exprimer une conviction profonde - de l'importance du rôle des communicateurs, du rôle qu'ils jouaient ici en luttant contre qui vous savez. Et, dans un monde où il y a tant de lâcheté politique, dans un monde où il y a de nombreux politiques très faibles, ou, plutôt, tant de politique si faibles, Cuba a l'immense honneur d'être non seulement en butte à un blocus - ça, tout le monde le sait - mais encore le seul pays auquel cet empire superpuissant interdit de vendre des aliments et des médicaments, désespéré comme il l'est d'atteindre l'objectif impossible de nous amener à la reddition.

Voyez à quel bas niveau se situe la morale de ce système, voyez donc sa décadence.

Vous avez parlé aujourd'hui du vote aux Nations Unies. Voyez un peu le discrédit de l'empire, malgré son immense appareil de propagande qui martèle tous les jours contre notre petit pays. Je vous assure que Dante n'aurait jamais été capable de peindre un enfer comme celui que connaît censément Cuba, si l'on en croit la machine médiatique de l'impérialisme braqué contre notre petit - et disons-le sans fausse pudeur - héroïque pays. Héroïque non par ses propres mérites, mais par les circonstances que je vous ai mentionnées : avoir pour voisin et adversaire une si grande puissance. En fait, si notre ennemi était un petit adversaire, sans aucun pouvoir, on ne parlerait même pas de Cuba dans le monde.

L'empire utilise tous ses moyens. Et pourtant il s'est passé des choses aussi incroyables que celle qu'on a vu au dernier vote aux Nations Unies : un délégué qui est arrivé en retard et qui monte à la tribune pour expliquer pourquoi donc il n'a pas voté, mais qui déclare tout net que la position de son pays est celle-ci et celle-ci, qu'il soutient la résolution cubaine; ou encore cet autre qui dit avoir appuyé sur le bouton du vote électronique et que le nom de son pays n'apparaît pourtant pas au tableau d'affichage et qui précise : «Ecoutez, je suis venu ici pour dire que j'ai bel et bien pressé le bouton et que mon pays soutient la résolution cubaine.» Non, on n'avait jamais vu une chose pareille aux Nations Unies ! Et vous avez pourtant un individu perdu au milieu de la salle, représentant les Etats-Unis, qui ose affirmer que le blocus n'existe pas, que le blocus des aliments et des médicaments n'existe pas !

Je me suis vraiment amusé tous ces jours-là, parce que je les ai vus vraiment mal à l'aise, perdus, emberlificotés, pris à leur propre piège, appelez ça comme vous voudrez. Et on comprend leur hystérie ! À quoi leur a servi leurs moyens ? À quoi ça leur a servi de peindre Cuba comme un enfer et de l'avoir fait croire à je ne sais combien de gens ? Et c'est un bon témoin qui vous le dit, parce que je reçois de nombreuses personnes qui visitent Cuba et qui, quand elles se rendent compte que ce n'est pas l'enfer qu'on leur a peint, se mettent à nous critiquer de ne pas le faire savoir, comme si c'était entièrement notre faute ou du moins de notre faute que les choses qui se passent à Cuba et tout ce qu'a fait la Révolution cubaine ne se connaissent pas mieux dans le monde. Elle sont même sur le point de nous traiter d'imbéciles de ne pas l'avoir fait connaître.

Par exemple, à combien des millions de personnes dans le monde faudrait-il expliquer ce vote à l'ONU de 157 votes pour la résolution cubaine demandant la levée du blocus, et de 2 seulement contre ? En fait, il y a eu au moment même 155 votes, mais deux autres délégués ont expliqué pourquoi ils n'avaient pas pu voter et ont précisé leur position, plus un troisième pays qui a fait pareil le lendemain : son ambassadeur n'était pas là au moment du vote, et il a demandé à l'Assemblée générale de prendre acte qu'il avait dû s'absenter la veille mais que son pays soutenait Cuba. Total, donc, 158 voix pour. De plus, six pays qui avaient toujours soutenu la résolution cubaine les années précédentes étaient interdits de vote cette fois-ci, parce que la grande misère qu'ils connaissent les a empêchés de payer leur quote-part à l'ONU.

Alors, pourquoi un tel soutien malgré tant de calomnies ? Il me revient à l'esprit ce qui s'est passé cette année-ci lors du vote de la résolution des USA contre Cuba à la Commission des droits de l'homme à Genève : la veille, à minuit, nous avions 25 voix pour nous, autrement dit contre la résolution yankee, soit six de plus que l'empire. Or, quelques heures plus tard, à huit heures du matin, nous avions une voix de moins qu'eux : 20 pour eux, 19 pour nous. Pourquoi ? Eh bien, parce que les plus hauts personnages de l'empire, depuis l'illustre Secrétaire d'Etat et l'illustrissime vice-président de ce pays jusqu'à l'archi-illustrissime président des Etats-Unis ont saisi leurs téléphones et ont commencé à passer des coups de fil comme des désespérés ! Je ne vais pas donner de noms précis d'aucun des pays en question, parce qu'ils voulaient vraiment voter pour nous. Ce qui a décidé en fin de compte, c'est qu'un pays qui pensait s'abstenir a finalement voté contre nous et que cinq autres qui voulaient voter pour nous ont dû s'abstenir à cause des pressions. Tout ceci, en un laps de sept à huit heures, parce que ces illustres personnes n'ont pas dormi de la nuit quand il se sont rendus compte de la situation. Ah ! vous ne pouvez pas savoir à quel point ils humilient un dirigeant d'un pays quand ils l'obligent par de telles méthodes à agir contre son gré, voire contre son engagement.

Ça, ça s'est passé à Genève, et ils étaient presque sûr de gagner. Parce qu'il y a bien moins de participants qu'à l'Assemblée générale et parce qu'ils peuvent compter sur un groupe d'alliés qui les suivent inconditionnellement sur ces questions-là, surtout à cause des calomnies contre nous.

Vous avez parlé des milliers de journalistes assassinés ces dernières années en Amérique latine et dans le monde, et je me creusais la cervelle pour retrouver le nom d'un seul journaliste cubain assassiné en quarante ans de Révolution. Oui, je me creusais la cervelle, tentant de me rassurer que je ne souffrais pas d'amnésie, cherchant le nom d'un journaliste cubain torturé par la Révolution ou tabassé par la elle.

Oh ! oui, il y a bien eu ceux qui ont déshonoré ce noble titre de journaliste, en agissant en serviteurs de cet empire superpuissant, en mercenaires, en traîtres de leur petite patrie qui leur a même assuré, grâce à la Révolution, de pouvoir faire n'importe quelles études universitaires, journalisme y compris.

Et quelles qu'aient été nos erreurs, personne n'a le droit de trahir sa patrie, personne n'a le droit de se vendre et de travailler comme un mercenaire de celui qui est l'ennemi, non seulement de son peuple, mais encore de l'humanité. Ce sont des traîtres à la patrie et à l'humanité !

Mais, auraient-ils beau avoir été les pires traîtres, personne ne leur a jamais donné un coup, personne ne les a éliminés physiquement, personne n'a commis contre eux un acte de cruauté. Si n'importe lequel de ces mercenaires tombe malade, il va plus vite à un hôpital qu'un ministre ou un dirigeant de la santé de ce pays-ci. On a même sanctionné certains traîtres quand ils ont commis de délits graves, quand ils ont fait du tort au pays, mais non par la mort, non par des coups, non par des tortures, et ils jouissent des mêmes droits et des mêmes sécurités que tous les autres citoyens.

Bien entendu, certains sont partis et vivent du métier de se prêter aux mensonges et aux calomnies de l'empire. Pis encore, certains qui n'ont jamais rédigé une seule page ni lu un seul texte de journalisme se qualifient eux-mêmes de journalistes. C'est l'empire qui leur décerne ces titres-là. Il mélange des gens de tout poil et les qualifie de prétendus journalistes indépendants - rien moins qu'indépendants, alors qu'ils sont la quintessence de la dépendance et du mercenariat!

Leur donner de tels qualificatifs est une offense aussi grande pour cette digne profession que de baptiser du nom de José Martí une chaîne de télévision nord-américaine qui fonctionne depuis Miami, dotée d'une antenne perchée sur un ballon à je ne sais combien de mètres d'altitude et dont ils veulent maintenant, dans leur rage et leur désespoir, doubler la capacité, de 50 000 à 100 000 watts, parce que ces possesseurs talentueux et géniaux des plus impressionnantes technologies n'ont pas obtenu que leur télévision se voie, ni que leurs radios s'écoutent, sauf quelques émissions dans des espaces donnés, parce que nos très modestes techniciens inventent toujours la manière de les brouiller. Des milliers d'heures d'émission hebdomadaires, et des milliers d'heures de mensonges !

Voilà leur démocratie, voilà leur liberté de la presse. Ce sont là des médias mis au service des individus les plus grotesquement mensongers, des professionnels du mensonge, de la calomnie et de la trahison.

La propagande fondamentale, ils la font de là-bas. Mais d'ici aussi ! À l'occasion du Sommet ibéro-américain, il y a ici un millier de journalistes étrangers. Oui, il se passe quelque chose d'approchant de ce qui s'est passé lors de la visite du pape, quand des milliers de journalistes sont venus dans notre pays, dont beaucoup étaient honnêtes, provenant d'endroits très différents. Mais beaucoup avaient aussi été envoyés pour assister à la chute des murailles de Jéricho, au son de prétendues trompettes, parce que certains croyaient que la visite du pape dans notre pays allait signifier l'effondrement de la Révolution en quelques heures. Et ces gens-là se sont trompés : d'abord, par méconnaissance de la force idéologique, politique et intellectuelle de notre peuple - une erreur commise je ne sais combien de fois déjà - ensuite par erreur sur la personne du pape.

J'ai lu récemment - et je vais vous raconter quelque chose que je n'ai encore dit à personne - une dépêche, une de ces nombreuses dépêches que je dois lire tous les jours. Celle-ci annonçait une nouvelle biographie du pape Jean-Paul II par je ne sais qui, un auteur yankee - et officialisée, en plus ! - qui devait paraître ces jours-ci, un volume de neuf cents pages. Selon la dépêche, l'auteur en question avait interviewé le pape à dix reprises ces dernières années, et le considérait comme une personnalité singulière - et il l'est sans aucun doute, je l'ai dit moi-même plusieurs fois. Mais selon la dépêche, la seule source d'information dont je dispose pour l'instant, quelle image prétend donner de lui cette biographie ? Celle d'une espèce de dompteur de lions, quelque chose qui est vraiment très éloignée de l'image de bonté que j'en ai.

Le pape est venu ici dans ce même Grand Amphi pour donner une conférence. Je l'ai écouté de ce siège-ci (il montre du doigt une des chaises dans le public), je n'étais pas censé venir selon le programme, mais j'ai tenu à l'écouter. Et j'ai du mal à voir en lui ce qu'on peut déduire de cette dépêche : un dompteur de lions.

Bien qu'il s'agisse de toute évidence d'une biographie conçue et élaborée pendant des années, quelle est la première chose que dit la dépêche au sujet d'un chapitre consacré à Cuba ? Oh, rien de bon ! Selon la dépêche, le livre révèle les particularités, les détails de ce que l'auteur qualifie du plus bel exemple de la stratégie du pape - oui, stratégie, au sens militaire - dans le seconde décennie de son mandat : son voyage à Cuba. Il reprend les phrases et raconte les exploits du porte-parole du Vatican, Navarro Valls, un des envoyés du pape dans les mois qui ont précédé sa visite. C'est quelqu'un que je connais, avec qui j'ai conversé même sur des questions qu'on pourrait appeler philosophiques, bien que, sur ce thème, j'ai surtout parlé avec un excellent prêtre et théologie (Mgr. Marini, assistant du pape et aujourd'hui évêque) qui m'a causé une impression agréable par son attitude discrète et ses raisonnements profonds et impartiaux, qui était assis à mes côtés au cours d'un dîner et avec qui la conversation s'est prolongée ensuite pendant des heures. Navarro, en face, et le prêtre à côté. J'avais posé un problème théologique : quelle était la position de l'Eglise catholique devant la possibilité d'une vie intelligente sur d'autres planètes de l'univers. Je connais donc bien Navarro Valls, je sais de quoi il parle, ce qu'il pense et ce qu'il dit, parce que j'ai conservé plus d'une fois avec lui. Il a toujours été respectueux et mesuré dans ses propos.

Je regrette beaucoup - et j'espère qu'elles sont fausses - les interprétations tendancieuses, inexactes et grossièrement fausses que l'auteur de la biographie fait de ses mots, selon la dépêche.

Il est évident que le rédacteur de cette dépêche, un journaliste de l'agence Notimex à Rome, a reçu les prémisses et il est même probable qu'il ait eu accès au texte, et il se peut même qu'il y ait glissé quelques ingrédients de sa propre mouture dans ce cas.

La première idée que la dépêche met en relief, c'est que la visite du pape a été imposée à Castro. J'ai découvert ce jour-là - en fait avec beaucoup de tristesse - qu'on m'avait imposé quelque chose pour la première fois de ma vie, et que pour la première fois dans l'histoire de la Révolution, on avait imposé quelque chose à notre peuple, à notre gouvernement, à notre parti, à notre patrie. Cette phrase m'a vraiment irrité.

Mais ce n'est pas tout, bien entendu. Selon cette dépêche, l'auteur du livre parle d'une lettre, réelle ou supposée, que le pape a écrit à Brezhnev pour empêcher l'invasion de la Pologne. Je ne connais pas cette lettre, et je ne sais pas si le pape a envoyé une lettre à Brezhnev. Si c'est vrai, les copies sont sûrement dans les archives de la CIA et des services secrets des Etats-Unis, parce qu'on sait que quand la Russie s'est «démocratisée» à l'infini, ses archives secrètes ont abouti aux mains des renseignements nord-américains, si bien qu'ils doivent connaître mieux que personne la teneur de cette lettre. Je ne la connais pas, je ne sais pas ce qu'elle dit, car la dépêche ne cite que quelques phrase entre guillemets. Elle doit sûrement apparaître entière dans le livre.

Cette idée s'inscrit elle aussi dans la thèse d'un pape dompteur de lions : par sa lettre, il aurait empêché l'invasion de la Pologne. J'ai bien connu Brezhnev et les autres dirigeants soviétiques de l'époque. Méthodes, styles, oukases, erreurs. Mais ils étaient extrêmement prudents et s'efforçaient d'éviter certains risques dans leurs relations avec l'Occident. Ce ne sont pas les contradictions qui ont manqué et les craintes que nous avons vu reflétées en eux quand Cuba a pris la décision de dépêcher des troupes en Angola pour contrer l'invasion des racistes sud-africains.

J'estime que les Soviétiques ne pouvaient pas envahir la Pologne, et je pourrais énumérer des tas de raisons, dont la principale est le risque élevé qu'une idiotie de ce genre, en plein coeur de l'Europe, ne conduise à une guerre nucléaire mondiale.

Quiconque sait un peu d'histoire et a deux sous de raison peut parfaitement imaginer que l'URSS ait exercé de fortes pressions et même des discours de gros calibre, mais, impliquée déjà dans l'aventure afghane, elle n'était pas en mesure de lancer en même temps des troupes contre la Pologne, dont le peuple, qui compte des dizaines de millions d'habitants, est courageux et possède des traditions combatives, ce qui, en plus du facteur politique qui aurait joué un rôle important et décisif, aurait surchargé son dispositif militaire et l'aurait bouleversé au milieu d'une grande tension mondiale.

Il est louable que le pape ait écrit une lettre, il est louable qu'il ait argumenté et raisonné devant cette possibilité lointaine, mais on exagère ici maladroitement dans la volonté grossière de le présenter comme un dompteur de lions quand on affirme que sa lettre a stoppé net l'invasion de la Pologne.

Je ne nie pas que le pape ait eu une influence importante dans les événements politiques de son pays natal, je ne nie pas que son opinion ait pesé, qu'il était un facteur subjectif important qui se joignait aux raisons réelles et objectives pour lesquelles la Pologne n'a pas fait et ne pouvait pas faire l'objet d'une invasion soviétique.

Pis encore, le livre affirme, toujours selon cette dépêche, que le pape a adressé un message à Bush pour le persuader de ne pas lancer la guerre contre l'Irak, ce à quoi Bush a répondu que c'était impossible, et que, quelques heures avant le début des combats, il lui a téléphoné et - je cite textuellement la dépêche - «tout en s'étant de nouveau déclaré contraire au recours à la force, lui a donné son soutien».

On décrit ainsi le pape appuyant cette guerre. Vraiment, je ne le conçois soutenant une guerre. Quiconque le connaît, quiconque l'a écouté, quiconque sait qu'il possède une énorme culture, de profondes convictions, qu'il connaît presque toutes les langues, toutes les philosophies et toutes les religions, ne peut s'imaginer le pape adoptant une telle attitude.

Je crois que si le pape ne peut convaincre quelqu'un de ne pas déclencher une guerre féroce et destructive, son réaction serait : je le regrette beaucoup, c'est triste, c'est douloureux, des milliers ou des dizaines de milliers de personnes vont mourir; des centaines de milliers d'enfants vont mourir dans ce pays de faim, de manque de médicaments - comme c'est d'ailleurs arrivé - mais il est impossible d'admettre l'idée qu'il ait souhaité la victoire au chef d'un empire qui, à peine quelques années avant, avait tué plus de quatre millions de personnes au Viet Nam, rendu invalides je ne sais combien de millions d'autres, empoisonné les terres et les forêts pour des dizaines d'années et provoqué, par son agression brutale, des traumatismes psychiques à jamais indélébiles à des dizaines de millions de Vietnamiens de tous les âges.

Ce n'est pas nécessaire d'être membre de son Eglise ni d'être croyant pour être absolument convaincu que c'est impossible, que c'est faux !

Comment prétend-on écrire une biographie du pape en lui donnant un tel caractère ? Cela aidera-t-il donc l'Eglise catholique qui, comme toutes les autres, aspire à propager sa doctrine, sa religion, aspire à se répandre dans le monde ?

En ce qui concerne le chapitre sur notre pays, comment peut-il y avoir des gens assez infâmes pour payer de retour les égards, les considérations, la délicatesse et les gestes que nous avons eus envers le pape, des gestes sincères, hospitaliers, respectueux, familiers, par des mensonges si grossiers ?

J'ai parlé des heures à la télévision, éclaircissant des événements historiques, éliminant des préjugés afin de persuader les militants du parti et de la jeunesse communiste, la masse combative et révolutionnaire de notre peuple héroïque, constituée de millions de personnes, que, malgré les différences philosophiques ou politiques, nous devions donner un exemple en assistant sans une seule pancarte, sans un seul slogan, dans le respect le plus absolu, aux activités de notre illustre visiteur.

Nous avons pratiquement remis le pays entre les mains du pape. Personne avec un fusil ou un revolver dans la rue. Pas même un accident de la circulation pendant les mobilisations. Ç'a été - selon ce que beaucoup ont dit ensuite au Vatican - la visite la mieux organisée et la plus parfaite qu'ait faite le pape. Cent dix chaînes de télévision étrangères, des milliers de journalistes, rien que pour retransmettre la visite ! Tous les moyens, le transport nécessaire - quasiment tous ceux dont disposait le pays - les installations et les places choisies par les représentants du pape eux-mêmes et mises sans exception à leur disposition. Ils ont inspecté en détail les salles et les lieux du Conseil d'Etat qui les intéressaient. Ils ont demandé le Grand Amphi de l'université de La Havane, la place Antonio-Maceo de Santiago de Cuba, la place Ignacio-Agramonte de Camagüey, et, enfin, la place de la Révolution ici, dans la capitale. Nous les leur avons toutes concédées. Pour la messe de Santa Clara, nous leur avons offert la place Ernesto Che-Guevara, mais ils l'ont refusée, et il a fallu créer à toute vitesse une place sur les terrains de sport de la faculté d'éducation physique de Villa Clara. La principale chaîne de la télévision cubaine a été mise au service de la visite du pape en vue de transmettre les messes, les homélies et les allocutions à chaque endroit. Ç'a été une expression véritable de notre hospitalité traditionnelle, de la décence, de la culture, du courage politique de notre peuple, et, tout simplement, une preuve patente du respect envers le pape en tant que personnalité éminente, que chef d'une institution religieuse millénaire, de la même manière que nous avons su exprimer notre respect et notre reconnaissance envers toutes les religions pratiquées dans notre pays.

C'est moi-même qui ai fait parvenir personnellement au pape l'invitation officielle à visiter Cuba, le 19 novembre 1996, quand je me suis entretenu avec lui au Vatican où il m'a reçu avec une amabilité et un respect à toute épreuve.

Bien des mesures adoptées pour garantir l'éclat et le succès de la visite, personne ne les avait réclamées, c'étaient des initiatives de Cuba.

Est-il juste, est-il décent de présenter la visite du pape à Cuba comme quelque chose qu'on nous a imposé ?

Celui des envoyés du pape qui a le plus et le mieux travaillé, le père Tucci, un prêtre noble et consacré, qui organise les voyages du pape depuis dix-sept ans, n'est même pas mentionné dans la dépêche.

Indépendamment des intentions de ceux qui ont coopéré à l'élaboration de cette biographie dont l'auteur a eu largement accès, de toute évidence, aux archives du Vatican et a soutenu de longues et intimes conversations avec Navarro Valls dont il a transcris, manipulé et interprété les mots à sa guise, en faisant preuve d'une haine incontestable de Cuba, en quoi une image aussi injuste que celle qu'on tente de transmettre, tant du pape que de Cuba, peut-elle aider l'Eglise catholique ?

On sait qu'il avait envie de visiter le Viet Nam. Mais si, après, quelqu'un se met à dire que le papa a dompté les Vietnamiens et qu'un de ses émissaires leur a imposé la visite, il est douteux que ceux-ci se risquent à le recevoir.

On sait que le pape souhaiterait visiter la Chine. Si les Chinois lisent un livre de ce genre, qui répand l'idée d'un pape dompteur de lions, il va être difficile qu'ils acceptent de le recevoir. Il s'agit d'une crétinerie, en rien chrétienne, en rien diplomatique, en rien politique. Je suis absolument convaincu que Jean-Paul II se sentira irrité et amer de cette grossière manipulation de son voyage à Cuba où il a reçu tant d'égards, tant de preuves de respect, de considération et d'affection.

Je vous ai raconté cette histoire pour vous donner une preuve de plus de la façon dont on emploie les médias et dont on crée des légendes sur notre patrie. Ce qui aboutit d'ailleurs, comme je vous l'ai expliqué, à ce que les visiteurs nous critiquent, quand ils découvrent que notre pays n'est pas l'enfer de Dante, pour n'avoir pas été capables de faire connaître la vérité au monde.

Je vous ai dit la satisfaction et l'encouragement qu'a laissés derrière lui le congrès de l'Union des journalistes de Cuba. Un congrès qui a duré plusieurs jours de plus que prévu. Il prenait fin tous les jours très tard dans la nuit, et le dernier jour, quasiment à l'aube, si je me souviens bien. À quelle heure ? (On lui dit à huit heures et demie du matin.) Quatre jours et demi de discussion de nos problèmes, d'analyse en profondeur et critique.

Evidemment, notre situation difficile s'est aggravée du fait que nous n'avons pas utilisé au mieux les médias dans notre bataille contre l'impérialisme, parce que l'objectif fondamental de la Révolution a été de lutter pour la justice sociale et humaine, de lutter contre ceux qui s'opposent dans le monde à cette justice, qui est la raison d'être de la Révolution.

Ces jours-là, je le répète, nous avons discuté des énormes possibilités des médias dans une révolution et dans un Etat socialiste révolutionnaire. Mais nous avons pris mieux conscience que jamais que la bataille n'était pas la nôtre, que les moins importants dans cette bataille, c'était nous, et que la lutte de notre pays et la lutte de nos communicateurs devenaient désormais une bataille pour le monde entier. Et c'est quelque chose, croyez-moi, qui nous a extraordinairement stimulés. Nous l'avons mieux vu que jamais, et il n'est pas resté un seul point que nous n'ayons abordé, nous avons tout analysé.

Si cette promotion conclut aujourd'hui, c'est le fruit de ce congrès, parce que nous nous sommes dit : «Quel dommage que ces cours auxquels participaient des journalistes latino-américains se soient presque réduits à zéro !» L'état dans lequel était tombée l'institution était pitoyable en matière de matériels et de capacités de bourses. On a conçu une série de mesures à appliquer immédiatement dans bien des sens. Vous ne pouvez pas vous imaginer combien nous avons progressé en sept mois!

C'est là qu'on a décidé de créer les brigades de journalistes qui iraient rapporter ce que font nos médecins dans les endroits les plus reculés d'Amérique latine et des Caraïbes. C'est de là qu'est née l'idée, qui a eu une valeur énorme parce qu'elle nous a aidé à maintenir la communication entre notre peuple et ces médecins, entre ceux-ci et leurs familles, entre les familles et les médecins, à fortifier l'esprit de ces hommes qui faisaient un travail héroïque à des endroits où il fallait parfois marcher trois ou quatre jours sur un sentier boueux pour arriver dans une communauté lointaine où il n'y avait ni eau potable ni électricité et parfois même pas de radio. C'est ainsi que s'est établi ce mécanisme de communication entre notre pays et les apôtres les plus émérites, les plus héroïques de l'humanisme que compte aujourd'hui notre peuple.

Oui, parce que notre pays a eu des enseignants très héroïques, comme ces deux mille qui sont partis dans les montagnes nicaraguayennes par où en sont passés bien des milliers en plusieurs années. Je ne pourrais vous dire maintenant le chiffre exact, je ne me rappelle pas avec précision combien de temps a duré le programme, mais il se peut bien qu'il s'agisse de huit à dix mille enseignants, ayant vécu dans les conditions les plus inconcevables, où il n'existait parfois qu'une seule pièce où vivait le couple, sa nombreuse famille, le cheval et l'instituteur, ou l'institutrice. Ils ne vivaient pas dans un hôtel cinq étoiles. Ils vivaient à bien des jours de distance, et même parfois dans des conditions physiques risquées pour la santé, parce qu'ils avaient tous à Cuba des habitudes de meilleure alimentation.

Nous avons voulu à un moment donné renforcer leur alimentation, leur envoyer quelque chose pour éviter qu'ils ne tombent malades par une baisse de leur défense. Mais ce n'était pas possible, parce que la première chose qu'ils ont faite quand nous avons envoyé les premiers colis - du chocolat, du lait en poudre, n'importe quoi - ç'a été de les distribuer à la famille et aux enfants. Quelque chose de très logique. Nous avons honte aujourd'hui de cette stupidité d'avoir voulu renforcer leur alimentation. C'était impossible.

Quand je parle donc de héros, d'apôtres, je ne parle pas que de ces médecins. Le fait est qu'aujourd'hui nous n'avons plus d'enseignants à l'exterieur dans ce genre de mission, nous n'avons plus de combattants faisant face aux troupes racistes et fascistes d'Afrique du Sud, nous n'avons plus d'autres activités de ce genre. Maintenant, ce qui est vraiment impressionnant, c'est l'activité que réalisent nos médecins, et qui va bientôt quintupler ou sextupler. Parce que notre pays a créé un énorme potentiel humain. Il n'a pas investi dans du papier pour des revues de commérage ou dans de la publicité, il n'a pas investi les ressources dans ça, il les a investies pour former des médecins au point que nous sommes le pays qui possède le taux de médecins par habitant le plus élevé du monde, pour former des enseignants au point que nous avons le taux de professeurs et d'instituteurs par habitant le plus élevé du monde, pour former des professeurs d'éducation physique et de sports qui ont à voir avec l'éducation et la formation intégrale, et non avec le sport professionnel, au point que nous avons le taux par habitant le plus élevé du monde. Pour le taux de chercheurs et de personnel scientifique et dans d'autres domaines, nous sommes aussi parmi les premiers.

Voilà dans quoi nous avons investi nos très modestes ressources, au milieu d'un blocus qui dure depuis quarante ans et auquel nous avons su résister même quand il est venu se doubler d'un blocus en provenance de l'ancienne Union soviétique, quand celle-ci s'est désintégrée et que notre commerce avec elle a pratiquement été liquidé. Après, il a commencé un peu à remonter, mais sans jamais avoir atteint les niveaux d'avant, tant s'en faut.

Dix années se sont écoulées dans ces conditions de double blocus sans que nous ayons fermé une seule école, une seule crèche, une seule polyclinique, sans qu'aucun travailleur n'ait un salaire garanti. Notre pays a augmenté le nombre de ses médecins de trente mille durant ces années-ci de Période spéciale. Trente mille nouveaux médecins ! Et quelle formation, parce que nous étions en train d'améliorer les programmes depuis avant ! Vingt et une facultés de médecine, tous les hôpitaux et centre de soins converti en centres universitaires. Personne ne sait ce que vaut tout ça, toute l'expérience accumulée que nous pouvons maintenant étendre aux pays qui auraient besoin de former des spécialistes d'urgence. Des pays qui peuvent même disposer d'un professeur par élève, parce qu'il suffit de mettre à côté de n'importe lequel de ces spécialistes cubains qui remplissent des missions à l'étranger un jeune frais émoulu de la faculté de médecine, avec les livres correspondants, et il devient spécialiste en deux fois moins de temps que dans un C.H.U.

Si je vous mentionne ça, c'est parce que ce sont des choses de notre patrie dont on ne parle jamais, ou alors à titre tout à fait exceptionnel, dans les dépêches qu'on répand dans le monde. En revanche, il suffit que nous arrêtions et sanctionnons un mercenaire au service de l'empire à quelques années de prison, soit bien moins que les peines dont sont passibles les actes de trahison aux Etats-Unis, par exemple, pour que vous voyiez apparaître tous les jours, une année durant, dans les dépêches et sur les médias ! Et je n'accuse pas les journalistes étrangers. J'ai même eu ces derniers temps plus de contacts avec eux à l'occasion de divers événements et j'ai découvert des gens capables, et un pourcentage élevé de gens avec lesquels vous pouvez parler et qui sont sensibles à la vérité.

Non, je ne saurais les accuser, même si nous avons eu parfois le malheur d'en recevoir qui étaient purement et simplement des salariés des Etats-Unis et qui travaillaient en connexion étroite avec l'Office d'intérêts de ce pays ici. Quelques-uns, pas même beaucoup, pas même la majorité, pas même une petite minorité . Mais nous avons eu des cas absolument indignants, à cause du rôle qu'ils jouaient dans notre pays, stimulant des activités subversives, obéissant aux ordres des Etats-Unis, montant au pinacle les mercenaires, créant de faux leaders et de prétendues personnalités qu'on ne ne connaissait que dans les dépêches et qui n'entraînent même pas dix personnes dans notre pays.

C'est bien la tâche qui intéresse le plus l'empire : diviser, déstabiliser, créer artificiellement des figures et les monter au pinacle par des moyens dénués de scrupules. Je ne les accuse pas, parce que les journalistes vivent aussi d'un travail, d'un salaire. C'est pour ça que je vous demandais s'il y avait quelqu'un de l'Association inter-américaine de la presse parmi vous, parce que vous savez aussi bien que moi que les dépêches sont expédiées aux sièges et que ce sont eux qui décident de ce qui se publie. Voilà en fait la liberté de la presse dont disposent en règle générale ceux qui sont obligés de travailler dans les grandes sociétés de publicité et d'information, dont disposent beaucoup des travailleurs intellectuels de la presse.

Prenez par exemple un organe de presse aussi prestigieux que le New York Times : quand on lui a téléphoné de la Maison-Blanche de ne pas publier les informations qu’il possédait sur l’imminente invasion de la baie des Cochons, eh bien ! il a obéi, s'embarquant lui-même et embarquant les Etats-Unis dans la défaite humiliante sur laquelle s'est conclue cette invasion !

Soyons juste, il y a des choses dans la presse du monde capitaliste qui ne sont pas ordonnées par le gouvernement. Une partie est un ennemi juré du moindre signe de progrès ; une autre partie adopte des positions qui répondent avant tout aux intérêts nationaux, et une autre, tout simplement, s’autocensure. Autrement dit, une partie alignée sur les pires intérêts ; une autre, proche du gouvernement ou de ses positions, et une autre qui ne publie pas, par patriotisme ou par un sentiment patriotique erroné, ce qu'elle estime ne pas convenir au pays. Ainsi, en cas de défaite humiliante aux Nations Unies, elle ne publie pas la nouvelle en question, et bien d'autres, d'ailleurs; si l'on a semé l'hystérie au sujet de Cuba ou alors répandu telles ou telles images, elle ne se risque pas à dire quelque chose de positif de Cuba.

Comme nous sommes considérés des adversaires du gouvernement des États-Unis, pratiquement par instinct, par coutume, par tradition, la presse ne publie pas les informations qui entrent absolument en contradiction avec ce blocus criminel ou avec la politique du gouvernement de l’empire. Telles sont les raisons pour lesquelles le monde n’a pas accès à la vérité.

Ce n'est pas qu'on lui dise : «Attention, ne publiez ceci !» Non, mais ces organes suivent une ligne, une pratique. Alors, où est vraiment la liberté de la presse ? Où donc ?

Bien entendu, je ne veux pas dire qu’il existe un manque total de liberté de la presse ; vous avez parfois un journaliste qui écrit un certain nombre de vérités. Certains journalistes font des analyses, des enquêtes, font des efforts ; il existe de très bons journalistes aux États-Unis. Oui, mais leurs articles ne paraissent qu’une seule fois ; le deuxième article ne voit jamais le jour, car les pressions s'exercent alors depuis la Maison-Blanche jusqu'à de modestes instances qui conseillent, au nom de prétendus intérêts nationaux, de ne pas aborder un thème ou un autre.

Même les organes de presse les plus sérieux des États-Unis font l’objet de pressions qui empêchent la publication de certains articles et de certaines informations, tandis qu'en règle générale, ils reprennent les clichés et les stéréotypes qui ont cours sur notre pays. Pour parler de Cuba, vous avez droit à des clichés infaillibles, invariables, à des adjectifs en série. Même quand ils combattent cette monstruosité du blocus, leur argument est le suivant : il a échoué, il dure depuis quarante ans et il n'a pas atteint les objectifs d'imposer vraiment un changement démocratique, le respect des droits de l’homme, le pluripartisme... Mais ne comptez pas trouver des analyses d’ordre moral ou humain !

Même lorsque cette presse recommande de corriger quelque chose, elle déclare tout de go, exactement comme monsieur Clinton, qu'elle le fait pour parvenir à détruire la Révolution cubaine. À détruire - et je le dis sans chauvinisme - la meilleure œuvre sociale et la plus humaine qu'on ait faite en ce siècle ! (Applaudissements.)

Quel pays du tiers monde a réduit l’analphabétisme à zéro en un temps record ? Quel pays du tiers monde a assuré à sa population une scolarité moyenne du premier cycle du second degré en un très bref laps de temps ? Quel pays au monde compte une population dotée d'autant de connaissances et de culture politique que notre peuple, où n’importe quel jeune sait où se trouve la Chine, le Viet Nam, la Cochinchine, comme on disait autrefois, ou un pays lointain du Pacifique que la plupart des hommes politiques nord-américains ne savent même pas où situer ?

Quel pays a des connaissances de l’histoire universelle, pour prendre un exemple, ou des problèmes essentiels partout dans le monde ? Ce qu'il s'est passé au Viet Nam, au Sahara, en Afrique du Sud... Ce qu'il s’est passé dans n’importe quel pays latino-américain, en Argentine, en Uruguay, au Chili... Ce qu’il s'est passé en Amérique centrale... Ce qu'il s'est passé avec les sales guerres... Qui a armé et entraîné les plus grands tortionnaires et criminels que le monde ait connus... Qui est coupable de l’invasion mercenaire, dans le style de Playa Girón, qui a provoqué dans un pays frère de l’Amérique centrale 150 000 morts, dont à peu près 100 000 personnes portées disparues ?

Ce sont les «apôtres» de la démocratie, de la justice, des droits de l’homme qui ont pactisé avec des gouvernements fascistes au lendemain de la deuxième guerre mondiale, qui ont recruté les techniciens nazis en armements, si bien que ceux-ci ont pu disposer aux États-Unis de tous les moyens nécessaires pour fabriquer des bombes plus parfaites, des missiles et toutes les armes sophistiquées avec lesquelles ils dominent ou prétendent aujourd'hui dominer le monde.

Quel pays a volé le plus de cerveaux ? Il suffit de dire que notre sous-continent a formé durant des dizaines d'années 1 500 000 médecins, dont 750 000 travaillent à l’étranger, presque tous aux États-Unis.

Au cours des quarante dernières années, les pays industrialisés ont volé à l’Amérique latine un grand nombre de spécialistes. Je ne me rappelle pas maintenant le chiffre exact, mais je sais en tout cas que, selon une étude, leur formation a coûté au moins trente milliards de dollars. Mais pas un sou aux autres!

Ce ne sont pas les diplômés universitaires des États-Unis, vous pouvez me croire, qui iraient en Haïti, en Amérique centrale, en Amérique du Sud, pour contribuer au développement de ces pays !

En volant les cerveaux, les Etats-Unis ont privé notre sous-continent de ses meilleurs talents, quand tout le monde admet maintenant que l’intelligence, les connaissances, l'informations constituent le facteur clef du développement. Ils ont volé en fait beaucoup des meilleurs, sans payer un sou. N'allez pas croire, oh non ! qu'ils nous pillent seulement à travers des taux d’intérêt élevés, la dette publique, l’échange inégal, l’exploitation brutale de la main-d’œuvre bon marché de nos pays...

Cuba n’en souffre pas de la même manière. Notre pays a enregistré de taux de scolarisation élevés, et même supérieurs dans le primaire à ceux des États-Unis, le pays le plus riche du monde. Notre taux de mortalité infantile est inférieur de presque 10 p. 100 au leur. Un meilleur taux, assurément, et bien réparti en plus dans toutes les provinces. À un moment donné, leur moyenne à eux a été de 10 décès pour 1 000 naissances vivantes, puis elle est descendue à 7 et quelque - cette année, ce sera 7 ou 8, on ne sait pas encore. En revanche, nous, cette année-ci, il est quasiment sûr que notre taux sera d'environ 6,5, alors qu'il semblait impossible de descendre en dessous de 7. Et ça se doit à ces médecins dont je vous ai parlé, aux travaillleurs de la santé, à leur dévouement, à ce qu'ils font pour sauver une vie.

Oui, je le répète, aucun pays n’a réalisé l'œuvre qu'a réalisée notre peuple, plus humaine, plus juste ! Et pourtant, pour des millions de personnes dans le monde, nous sommes des tortionnaires, des violateurs des droits de l’homme, des totalitaires. Eh bien ! oui, soit, nous sommes des totalitaires, parce que nous avons instauré le totalitarisme de la justice, le totalitarisme d’un esprit vraiment humain (applaudissements).

Démocratie, pluripartisme... Combien de partis voudrait-on ici ? Et à quoi bon, d'ailleurs ? Parce que nous pouvons leur montrer les partis qu’ils veulent, nous pouvons leur montrer environ sept ou huit millions de partis.

Je parle d’un peuple qui sait lire et écrire, où les jeunes votent à seize ans, s'y connaissent en politique et savent ce qu’ils font, des fils d’un pays où ce sont les citoyens qui nomment les candidats à délégués de circonscription en une assemblée libre et ouverte, où le parti s'est interdit à lui-même d'intervenir, tout comme le lui interdit le système électoral, un système promu par ce même parti et où l’Assemblée nationale, produit final du processus, est constituée, à environ 50 p. 100, des délégués provenant directement de cette base primaire qu’est la circonscription. Et c'est là quelque chose d'unique en son genre. Alors, qu'on se renseigne plutôt que de lancer des slogans creux !

Récemment, en conférence de presse, j’ai affirmé qu'il existait une formule pour ceux qui se déclarent dissidents : qu'ils aillent aux assemblées où sont nommés les candidats et aux élections où ils sont élus. C'est tout simple : si la Révolution perd la majorité, elle perd le pouvoir. Il leur suffit de gagner. Qu'ils se présentent dans une circonscription, à la base, dans la zone, parce que les circonscriptions sont divisées en zones et que les candidats sont nommés dans une ou plusieurs. Eh bien ! qu'ils se rendent aux réunions du peuple pour être nommés par les citoyens, qu'ils participent aux élections où ils sont élus, et ils n'auront besoin d'absolument rien d'autre pour prendre le pouvoir dans ce pays. Non, ce n’est pas la direction du parti qui nomme et qui inscrit en tête de liste les candidats qu'il veut voir élire au terme d’une étude sommaire de l’état d’âme des électeurs, ce qui lui permet de savoir avec une exactitude quasiment mathématique les personnes à élire, et qui dit : «Voilà quels seront les trois députés têtes de liste.» Ça ne se passe pas comme ça, ici.

Tout citoyen a le droit de nommer, d’élire et d’être élu. Tout ce qu'il lui faut, c’est du mérite. Et non tant et tant d’argent pour pouvoir payer toute la pub qu'il se fait de lui-même, comme si c'était du Coca Cola, ou une marque de cigarettes, ou un modèle de voiture, une pub dont vous savez qu'elle influe décisivement sur le résultat final. Sinon, notre monde ne dépenserait pas chaque année un billion de dollars en pub ! Rien qu'avec cette somme, on pourrait construire toutes les écoles d’une qualité optimale dont le monde a besoin, et une petite partie permettrait d'envoyer tous les enfants qui en ont besoin à la cantine et de payer un salaire décent aux enseignants.

Quel être doté de raison ne trouverait-il pas ça un tout petit mieux que de dépenser un billion de dollars en publicité venimeuse et abrutissante pour semer dans le cerveau de milliards de personnes modestes et pauvres le rêve d'une voiture de luxe dernier cri, de la montre la plus must fabriquée en Suisse, des modes les plus chics de Paris, de Londres et de New York, et même pour leur dire avec quelle lame ils doivent se raser, quel soda ils doivent boire et sur quel appareil ils doivent regarder la télévision ?

Pourquoi dépense-t-on un billion de dollars ? Tout simplement parce que si vous ne faites pas de pub, vous êtes éliminé. Pourquoi un candidat dont la pub est assurée gagne-t-il ? Voyez un peu ce qu'il se passe aux Etats-Unis, où les candidats se retirent parce qu'ils n’ont pas assez d'argent ! Mme Dole, par exemple vient de le faire parce qu’elle n’avait que dix-huit millions, alors que Bush, en revanche, lui, en avait environ soixante-dix. Elle se déclare battue : dix-huit ne me suffisent pas, je reprends mes billes ! C'est ça, la vraie démocratie ! Quelle misère !

De l’argent pour la pub, et de la pub afin de bien faire entrer dans la tête des gens pour quel candidat ils doivent voter, et pour y semer cette idée politique si brillante et si transparente, il faut lui arranger la coiffure, au candidat, et aussi la silhouette, et puis il faut absolument suivre les instructions du concepteur d’images de marque, lui écrire les discours qu'il devra prononcer et convaincre les masses de son énorme talent d’homme d’État et de ses énormes vertus morales qui en feront un grand président. Quel est, dans ce système-là, le véritable électeur ? Le fric et la pub, voilà les grands électeurs !

Eh bien, ces électeurs-là n’existent pas ici, dans ce pays totalitaire ; les grands électeurs, ce sont les huit millions de citoyens âgés de plus de seize ans, et qui vont voter, par-dessus le marché. Parce que, dans la superdémocratie d'en face, les citoyens sont si convaincus de toute cette cochonnerie et de toute cette hypocrisie que, s'ils n'en a pris conscience intellectuellement, ils réagissent du moins par instinct et ils apprécient tellement le droit de vote qu’ils préfèrent aller à la plage le jour des élections. Quel bel exemple ! Ici, où le vote n’est pas obligatoire, bien plus de 95 p. 100 des électeurs votent, et, dans certains cas, jusqu'à 98 ou 99 p. 100 selon la circonscription, et ils votent pour de bon, y compris pour annuler le bulletin ou pour écrire dessus des slogans contre-révolutionnaires ; mais ceux qui vont voter et voter honnêtement dépassent largement 90 p. 100 des électeurs.

Vous connaissez les Cubains. S’ils se payent le luxe de recevoir publiquement les instructions des fonctionnaires de la Section d'intérêts des États-Unis, comment auraient-ils peur de ne pas voter ? Cela peut-il faire l’objet de coercition dans ce pays-ci ? Non. Quiconque connaît les Cubains sait que c'est absolument impossible.

De toute façon, ce n'est pas le culot qu'il leur manque, aux fonctionnaires de la SINA. Je peux même vous dire qu'aujourd’hui-même, à l’occasion du Sommet ibéro-américain qu'ils cherchent à saboter, ils avaient prévu trois réunions avec trois groupuscules contre-révolutionnaires à trois endroits différents de la ville, auxquelles ils avaient invité certains journalistes. Comme vous le savez, La Havane est pleine de journalistes provenant du monde entier. Bien entendu, les journalistes sont intéressés, ils souhaitent aller à un endroit ou un autre pour voir ce qu'il se passe, surtout si on les invite à connaître la doctrine merveilleuse que ces gens-là défendent. Evidemment, ça ne pouvait pas rater, il y avait un fonctionnaire de la SINA, et puis aussi un fonctionnaire d'un autre pays que je préfère ne pas mentionner, parce qu'en fin de compte il ne s’adonne pas aux mêmes activités que la SINA et qu'il se peut qu'on l'ait invité. Bien entendu, il y avait plus de journalistes que de vermines. De celles-ci, il y en avait onze, selon ceux qui les ont comptés.

Il y a eu deux autres réunions, l’une pour réfléchir sur je ne sais pas quoi - sans doute sur le sexe des anges - à laquelle on en attendait je ne sais pas combien, et l’autre... non, je ne me souviens plus. Autrement dit, trois réunions : l’une avec onze vermines, et plus de journalistes que de participants; l’autre, avec neuf et la dernière, avec cinq. Voyez donc quelle influence, quelle force ! En fait, ils savent bien que le peuple est très conscient de leurs actions traîtresses. La SINA n’a pu cacher l'impudence de ses actions ni le rôle joué par ses complices dans les plans contre la réunion ibéro-américaine.

On dit qu’ils allaient défiler avec des pancartes. Nous possédons les pancartes des quatre ou six individus qui ont provoqué un incident avec les lycéens qui participaient à une fête organisée dans un square et nous les avons montrées à la télévision au public et aux agences de presse pour qu'elles les copient ou les divulguent. Ce qui nous a le plus déçu et indigné - si tant est que quelque chose puisse nous indigner - ce sont les deux fautes d'orthographe colossales sur une pancarte de seulement cinq mots. Et je me suis dit : sapristi, quelle honte ! après avoir fait tant d’efforts dans ce pays pour que les gens sachent au moins lire et écrire correctement !

Vous voulez savoir ? Ce que leur avaient suggéré leurs précepteurs yankees, c'était de défiler pendant six pâtés de maisons. Heureusement qu'il y avait la fête des étudiants tout près de là, et qu'il y avait aussi les professeurs.

Hier, on a pu retrouver les quatre personnes - je ne sais pas si vous en êtes au courant... Quatre personnes à bord d'un camion, dont on disait que l'une d'elles avait flanqué un coup de marteau sur la caméra de télévision d’un reporter étranger. Et nous avons donc décidé de les retrouver pour éclaircir les choses. Vous imaginez un peu ce qu’on allait dire ! Un journaliste agressé à coups de marteau; le fascisme pur et dur règne à Cuba; quelqu’un cogne à coups de marteau sur une caméra de télévision ! Nous avons voulu savoir avec précision quel étaient ces gens-là, de quel camion il s'agissait, savoir exactement ce qui s'était passé. Quand j'ai parlé à la télévision avec les journalistes des agences de presse, il ne s'était écoulé que quelque heures et on n'avait pas encore pu retrouver le camion. Mais hier même, dès que ces gens-là ont vu le programme à la télévision et qu'ils ont su que nous voulions retrouver le camion, l’homme au marteau et deux de ses compagnons qui l’accompagnaient se sont rendus eux-mêmes au ministère du Commerce intérieur où ils sont camionneurs, parce qu'ils étaient soucieux. «C’étaient nous, nous avons appris les nouvelles à la télé et nous venons raconter ce qu'il s’est passé.»

Aujourd'hui donc, la télévision les a interviewés tous les quatre, y compris le chauffeur du camion; c’étaient les quatre témoins qui manquaient ; on croyait qu'ils n’étaient que trois, mais en fait ils étaient quatre à bord du camion au moment de l’incident. Ils ont raconté ce qu’il s'est passé. Ce soir, vers vingt heures vingt, la télévision devait retransmettre cette interview pour avoir la version complète, celle de l'homme au marteau et celle de ses compagnons.

Pour l'instant, je n'en sais pas plus. J'ai perdu cet épisode, mais je m'en réjouis parce que ça m’a permis de parler un peu avec vous. Les quatre témoins ont déjà parlé, et on verra demain les opinions. On dit d'ordinaire : «Quelle blague, celui qui tue quelqu'un, on ne le retrouve jamais, ou alors celui qui commet une action grave contre un journaliste.» Ici, non. Et même à la télé ! Ceux qu'on accuse et dont on parle partout dans le monde se présentent eux-mêmes à la télévision en un temps record. On enquête et on interroge au su et au vu de tout le peuple.

J’ai regardé ma montre. Je crois que j’ai été un peu longuet (rires), mais je vous promets que je vais bientôt finir. J'ai même encore différentes choses à voir. Le Sommet ibéro-américain va bientôt commencer, et j’avais complètement oublié que j'avais des choses à faire à ce sujet (rires).

J’apprécie beaucoup les Sommets ibéro-américains, je reconnais leur valeur. En fait, j'apprécie les Sommets politiques, mais j'apprécie aussi beaucoup les Sommets intellectuels, et c'est ce que vous êtes, vous, et surtout des intellectuels courageux. Nous avons tous vécu notre Période spéciale. Vous et nous. Mais nous allons tirer une force terrible de ces années difficiles, nous avons épousé la plus belle et la plus grandiose de toutes les causes, et nous savons que ces causes se défendent, se consolident, avancent et triomphent par les idées et par leur transmission, par celle de messages, par celle de vérités, afin de créer ces facteurs subjectifs qui accélèrent le cours de l’histoire, parce que nous ne pouvons attendre simplement que les sociétés explosent, que le système explose, face à un monde peuplé de milliards d'habitants qui ne saurait pas ce qu'il se passe, qui ne saurait pas quoi penser, qui ne saurait pas quoi faire ni à quoi s’en tenir, qui ne saurait même pas s’il existe une possibilité ou un espoir.

Ceux qui, comme nous, croient sincèrement qu’il existe une possibilité ou un espoir fondé sur des raisons solides, peuvent transmettre cet espoir, peuvent convaincre les autres de cette possibilité. Faisons donc notre travail. Ce n'est plus une question de partis, ce qui ne veut pas dire que je sois contre ; plus il y en aura de vraiment de gauche, et mieux ce sera, car il ne suffit pas de le dire pour l'être...

Je viens de me souvenir d’une dépêche que j’ai lue ces jours-ci. J’y ai appris que le Parti démocrate, celui de la guerre du Viet Nam, celui de l’invasion de la baie de Cochons, celui du blocus à Cuba - parce que c'est lui qui l'a établi et poursuivi à travers ses différents présidents à la Maison-Blanche... Et ceux de l'autre parti, aussi. En fait, le Parti démocrate et le Parti républicain sont si parfaitement similaires qu’ils constituent un véritable système à parti unique, mieux, le système à parti unique le plus parfait au monde, grâce à ce mécanisme fabuleux de deux partis qui se ressemblent comme deux gouttes d’eau.

Eh bien, l'un de ces deux partis, des frères jumeaux, et même des jumeaux monovitellins - et vous savez que ces jumeaux-là, au cas où vous l’auriez oublié, sont ceux qui naissent d’un ovule unique se divisant en deux et qui se ressemblent tellement qu’ils peuvent être à l’origine de confusions ou d’échangisme s’ils vivent sous le même toit - l'un de ces deux-là, donc, le parti démocrate des Etats-Unis a été cité avec insistance au tout dernier congrès de l’Internationale socialiste comme candidat éventuel. Eh oui ! le parti des lois Torricelli et Helms-Burton, le promoteur et toujours tenant du blocus génocide contre Cuba, même si nombre de ses membres en sauvent l'honneur en s’opposant à ce crime si monstrueux. Sans parler de guerres génocides et brutales, comme celle qui vient d’avoir lieu en Europe, et de nouvelles conceptions stratégiques de l’OTAN... Cette Internationale est censée représenter une partie importante de la gauche mondiale avançant irrésistiblement vers l’avenir, vers le progrès, vers la justice, vers la démocratie, vers la liberté. Quelle avancée sur des troisièmes voies aussi confuses !

Vrai, malgré tous ses défauts, nous préférons encore notre socialisme ! (Applaudissements.) Nous préférons le totalitarisme de la vérité, de la justice, de la sincérité, de l’authenticité, le totalitarisme des sentiments vraiment humanitaires, le totalitarisme du type de multipartisme que nous pratiquons.

Nous préférons le totalitarisme de huit millions de partis, et de huit millions de partis unis, parce qu'ils nomment et qu'ils élisent, parce qu'ils tracent des orientations, parce qu'ils adoptent et appuient des politiques et parce qu'ils les discutent depuis la base jusqu’aux plus hautes institutions de l'Etat. C'est préférable à quatre-vingts partis, c'est préférable au miracle de deux partis en un qui tyrannisent la société nord-américaine, exemple lumineux, phare et guide du monde entier.

Il est préférable d’être aveugles pour ne jamais voir cette lumière-là, et même de marcher tout seuls sans la compagnie d’un chien, parce que nos propres pieds, notre propre instinct nous conduiraient sur la bonne voie.

Faisons de la lumière, parce qu'il est possible de la faire, parce que l’homme n’est pas aveugle. On peut l'abrutir avec certaines choses dont j'ai parlé ici, et on est en train de le faire. Il faut donc créer un antidote contre l’abrutissement, qui est pire que le sida ! Des remèdes contre l’abrutissement ! Un vaccin contre l’abrutissement ! Et ce vaccin, vous l'avez entre vos mains. C’est la vérité visant une cible : la raison de l’homme, le cœur des hommes.

Celui qui vous parle n’est pas quelqu’un qui parle ici pour la première fois ou un étudiant de cette université voilà plus de cinquante ans, et que n'importe qui aurait pu me prendre pour un fou, un rêveur ou un utopiste. Je suis même capable de donner raison à ceux qui m'auraient pris alors pour le premier, pour avoir pensé ce que je pensais dans cette société-là, dans ce monde-là où je vivais et dans cette université-ci qui comptait quinze mille étudiants et où le maccarthysme et les médias - la presse écrite, le cinéma, la radio; la télévision n’existait pas encore - les publications, les revues, les livres, à de très rares exceptions près, façonnaient les esprits dans la haine du socialisme et dans l’admiration servile et obséquieuse de la grandeur de l’empire qui «nous a donné l’indépendance», alors que nos parents l'ont conquise au prix de tant de sang, à tel point que, quoique toujours rebelles, combatifs et idéalistes, les étudiants consciemment anti-impérialistes ne dépassaient pas la cinquantaine. C’était la triste époque où l’esprit de tout un peuple était bloqué et leurré par les médias aux mains de la bourgeoisie et des propriétaires fonciers alliés de l’impérialisme, serviteurs de l’impérialisme, laquais inconditionnels de l’empire.

L’immense majorité de la société nord-américaine n’est-elle pas de nos jours immunisée par le vaccin le plus puissant du monde contre tout ce qui a à voir avec le socialisme, les esprits n'ont-ils pas été séquestrés et convertis en récepteurs d’idées qu'on inculque à la manière dont on inculque le goût pour un soda ou une cigarette, en bourrant le crâne des gens des préjugés et des mensonges les plus absurdes du monde ?

C'est ce système économique, social et politique, qui met le monde à sac, que nous dénonçons, que nous contestons, auquel nous nions le moindre droit de se présenter comme un système démocratique juste et humanitaire. Parce que c'est un mensonge carabiné !

Qui sont ceux qui peuvent persuader dans le monde ? Les communicateurs, ceux qui transmettent des messages, et plus ils feront preuve d'efficacité, de grâce, d'art, de transparence, de courage pour les transmettre sans concession, et plus ils conquerront de gens, et plus d'esprits se délivreront du mensonge.

Et, bien entendu, ne pas avoir peur, ne pas se décourager. Ce système ne pourra se sauver, même si aucun de vous n'écrivait un mot en faveur du changement véritable et vital.

Chaque fois que ceux d'en-face se réfèrent à Cuba, ils parlent de changement. Ils prétendent ignorer que le plus grand changement survenu en bien du temps, et le plus radical, est celui qui a permis à Cuba non seulement d’exister, mais aussi de résister. Ils parlent de changement, un terme très à la mode, alors que ce qui est vraiment sur le tapis ou ce qui constitue du moins un besoin urgentissime, c’est la modification de cet infâme ordre mondial en place, car cela modifiera dès lors tous les pays du monde, y compris la société nord-américaine elle-même.

Quiconque sait un peu d’arithmétique, sans parler de mathématiques, sait que personne ne peut sauver cette société d’une crise pire, bien pire que celle de 1929, quand seuls 5 p. 100 des Nord-Américains avaient placé leurs épargnes à la Bourse. Aujourd'hui, la moitié des Nord-Américains l'ont fait.

Le monde changera, rien ne pourra l’empêcher. Mais notre devoir est de l'aider à changer, et le plus tôt sera le mieux, sans attendre que la crise devienne un big-bang - qui continue de projeter des étoiles vers l’infini. Nous devons aspirer non pas à un big-bang mais à un big-change - et me voilà quasiment devenu traducteur d’anglais, alors que je le prononce si mal ! - à une big-revolution... (rires et applaudissements). Si je le dis, c’est parce que j’y crois et parce que c’est inévitable.

À qui donner la raison lorsque Luis Suárez m’a invité, ou plutôt m'a exhorté à prendre la parole ? Quand il me pressait de vous adresser la parole à la clôture du congrès, alors que je ne savais rien de ce que vous aviez fait et de ce dont vous aviez discuté, alors que je n'avais même pas pu lire ou bien écouter ici votre manifeste, je me suis dit que j'allais tout simplement vous dire : «C’est impossible, il s'est discuté ici des choses trop sérieuses, trop importantes pour que je vienne ici parler d'abondance.»

Je n'ai donc pas parlé, je me suis laissé porter par l’atmosphère, par la joie de vous voir ici réunis, par la certitude que j'ai de ce que pouvez faire, et voilà pourquoi je me suis dit : «Je vais leur parler brièvement de notre congrès des journalistes, organisé au début de l’année .»

Nous avons eu un autre congrès il y a quelques jours, dénommé Conseil élargi. Nous avons invité tous les délégués du premier et nous en avons tenu en réalité un deuxième. Avec quelle satisfaction a-t-on appris par le rapport que tous les accords avaient été tenus, et même dépassés !

Tout comme pour les médecins, on a fait quelque chose d’incroyable et d’inconcevable : les organes de presse sont devenus des organes d’enseignement. Ils comptent d'ores et déjà des programmes d’étude en informatique et je crois savoir qu'à la fin de la prochaine année, tous nos journalistes entreront au troisième millénaire après avoir suivi un cours intensif et efficace dans ce domaine. Tous les journalistes, sans aucune exception, maîtriseront l’informatique (applaudissements); ils auront tous la possibilité de communiquer entre eux et avec le monde par l'Internet et par les ordinateurs à l’échelle non seulement nationale, mais encore mondiale (applaudissements). Que ce sera bon quand nos journalistes pourront un jour communiquer avec leurs collègues d’Amérique latine par ordinateur et par l'Internet !

Dans un avenir proche, tous apprendront une deuxième langue. Deux cents le font déjà, pour commencer. Il n'y avait pas assez de places, il a fallu réaménager quelques édifices, et on pourra porter le nombre d'inscription à quatre cents. Evidemment, cette langue sera fondamentalement l’anglais, qu'il ne nous reste plus d'autre solution que de confisquer, car nous avons besoin d’un instrument. Comme ils ont imposé l’anglais partout dans le monde, nous n'allons pas nous mettre à inventer un dialecte, même si nous devons respecter et préserver soigneusement ceux qui existent, car ils sont des créations de la culture humaine. Quand je dis donc que pourrions communiquer entre nous par un dialecte, je ne le dis par mépris.

D’autres langues sont très importantes mais très difficiles. Le chinois, par exemple. Voilà pourquoi beaucoup de pays étudient l’anglais. Il faut donc maîtriser une autre langue et maîtriser l’anglais, mais ce ne sera pas la seule. Il ne nous reste plus qu’à calculer le temps qu'il faudra aux presque trois mille journalistes cubains pour maîtriser une autre langue, à partir d’excellents laboratoires, d'excellents programmes qui ne sont pas trop chers, heureusement.

Pourquoi donc avons-nous doublé nos capacités ? Parce que nous pensons à des cours non seulement sur les techniques d'écriture journalistiques et sur d'autres connaissances, mais encore sur les techniques narratives. Tous les organes de presse, de radio, de télévision, les journaux, convertis en centres d'enseignement où les journalistes étudient systématiquement. Les études d'informatique vont aller vite, parce qu'il suffit pour cela de quarante ou cinquante centres. En plus des écoles, en plus des cours directs et quasi spécialisés d'informatique, les organes de presse eux-mêmes donneront des cours.

Toutes ces idées se sont développées peu à peu, et quand nous voyons que l'une a du succès, nous en ajoutons d'autres et nous les développons.

Nous avons beaucoup d'espoir de pouvoir élever ainsi au maximum possible le niveau de nos communicateurs. Avec la bibliographie qu'il faut, partout où il faut. Nous ne pouvons envoyer deux mille ou trois mille volumes à chaque journaliste, mais ils peuvent disposer en tout cas d'endroits où se trouvent un certain nombre de volumes, non seulement de journalisme, mais aussi de culture générale.

Ne croyez que ce soit là du chauvinisme, ou une ambition vaine et puérile, mais je puis vous assurer que nous souhaitons que nos journalistes - et plût au ciel que ce soit possible pour tous les journalistes d'Amérique latine et du monde - deviennent au fil du temps les mieux formés du monde. Je ne dis pas : les meilleurs du monde, ce qui n'est pas la même chose, mais en tout cas, dans leur ensemble et en moyenne, les mieux formés du monde pour travailler dans celui-ci et y mener une bataille universelle.

Veut-on des reporters les meilleurs ? Alors, qu'on les envoie là où il se passe des choses, là où se trouvent les médecins, là où n'importe quel groupe humain fait des choses extraordinaires. Certes, nous n'avons pas, nous, les millions des transnationales, nous n'avons pas de capital financier, mais nous avons désormais un excellent capital humain.

Les médecins dont je vous ai parlé et qui sont déjà largement plus d'un millier et qui seront plusieurs milliers dans un avenir pas si lointain, sont l'expression de ce capital humain, de ces personnes capables de se rendre en règle générale là où aucun médecin des pays industriels ne se rendrait.

Si vous avez une bonne résidence, trois voitures, quatre téléviseurs et tous les gadgets électroménagers que produisent leurs industries, si vous vous habillez à la dernière mode de Paris, de New York ou de Californie, il est bien difficile que vous vous éloigniez de votre famille et que vous vous rendiez pour une durée indéterminée, qui peut être un an, un an et demi ou deux, dans des endroits infestés de vipères, de moustiques, où vous crèverez de chaud, où il vous faudra faire preuve d'une capacité incroyable d'abnégation et de sacrifice !

Ceux des pays riches, ils ne vous le font pas, même pour cent mille dollars, parce qu'ils préfèrent rester où ils sont et empocher leurs cinquante ou soixante mille. Ils n'ont pas été formés dans d'autres conceptions et selon d'autres idéaux. Ce que font tout au plus certains parmi les plus généreux et les plus philanthropes, c'est organiser une petite équipe pour se rendre dans un pays pendant une semaine. Ce n'est pas mauvais, bien entendu, c'est même bien pour divulguer des techniques, soigner des cas difficiles. Mais, à part d'admirables exceptions, ce genre de mission ne dure pas plus d'une semaine.

Ils ont donc un capital financier infini et quasiment zéro capital humain. Nous, nous faisons les choses avec zéro capital financier et un capital humain - je ne vais pas dire : infini - mais en tout cas abondant, créé pendant ces quarante ans. Et je vous demande si un pays du tiers monde éclaté en mille morceaux, soumis à une instabilité permanente, sans programme et sans rien de semblable, pourrait avoir fait ce genre de choses !

Ce sont ces faits qui nourrissent ma conviction, ma fermeté, mon espoir. C'est avec ces arguments que nous pouvons combattre. Et je ne vous demande pas de nous défendre, je vous demande d'avoir la conscience la plus élevée de ces réalités de ce monde-ci, de dénoncer les horreurs du système dont nous souffrons et qui risque même de liquider notre espèce humaine.

Ce système abominable - je le disais ce jour-là en parlant à une pause avec un groupe de journalistes - ne conduit pas seulement l'humanité à son extermination physique : il la détruit spirituellement. Il fait de chaque être humain un égoïste, un concurrent aveugle de l'autre, un ennemi de tous les autres. Il fait de chacun des citoyens d'un pays un avare, un égoïste, un trompeur, un menteur.

Peuvent-ils éduquer un peuple, des politiques qui ne font que sentir ce qu'ils ne disent pas et dire ce qu'ils ne sentent pas ? Prenons par exemple, avec tout le respect que je lui dois, le président Clinton : il tient un discours à New York, un autre en Floride, un autre à Washington. Un quand il s'adresse aux Latinos, un autre quand il s'adresse aux Asiatiques, et encore un autre à l'adresse des citoyens d'origine africaine; un discours pour chacun, un discours pour chaque pays qu'il visite. Et vous avez aussi les présidents qui se trompent, comme Reagan, qui s'adressait aux Brésiliens alors qu'il croyait se trouver en Bolivie. Vous en avez entendu parler. Je ne sais pas si c'était un lapsus linguae ou un infarctus culturel, parce que ce sont vraiment deux pays qu'on ne peut confondre !

Mais ce n'est pas leur faute, on ne leur a pas appris à l'école, et ils n'ont pas d'ordinaire une formation politique solide. Il vaudrait mieux dire que le système le leur interdit. Si vous n'avez que le concept de la concurrence et de la lutte individuelle entre les êtres humains, si vous ne croyez qu'au pouvoir des armes et des richesses, comment pouvez-vous vous doter d'une conception humaniste du monde de demain ?

Je discute, je converse avec de nombreux politiques, de différents niveaux, pas seulement nord-américains, parmi lesquels j'ai vu certainement des personnes bien formées et sérieuses. Mais je vois parfois des choses horripilantes. Par exemple, trois adjoints d'un côté, et trois de l'autre; et sur n'importe quel thème, vous en avez un qui passe une note, et un autre qui en passe une autre. C'est tragique ! Et c'est en plus un manque d'éducation, parce que si vous devez attendre qu'ils aient fini de se passer leurs petites notes et que vous deviez tenter de deviner sur quel thème porte la petite note, quel point chaud a déclenché un réflexe conditionné, sur quoi il faut conseiller votre illustre invité, eh bien vous devez interrompre le fil de la conversation et vous avez l'impression d'une impolitesse.

Je ne veux pas mentionner de pays, parce que nous avons beaucoup d'amis dans n'importe lequel, mais j'ai vu des personnalités de pays censés faire partie des mieux informés du monde, ou de pays disposant des moyens d'information les plus avancés, et dont les citoyens sont absolument mal informés, ne savent rien de rien du monde, même s'ils possèdent des titres universitaires. Ils ne peuvent pas lire, ils ne peuvent pas étudier. J'envoie bien souvent des documents à d'importantes personnalités dans l'espoir que leurs assistants les liront, auxquels je les envoie aussi. Je n'ai jamais pu constater qu'ils aient eu le temps de les lire, alors que cela concerne leurs intérêts politiques, et, ce qu'il a de pire, c'est que, bien souvent, même leurs assistants ne les lisent pas.

Je vous ai raconte des expériences vécues. Ces gens-là n'ont pas le temps de lire, d'étudier, pris comme ils sont dans un tourbillon d'activités qui se réduisent bien souvent à frapper de porte en porte chez les électeurs. Un sens des intérêts nationaux ? Très peu ! Dans les discours et les attitudes de chaque représentant de certains de ces pays-là, on ne constate que la défense des intérêts de l'ethnie, ou du groupe économique ou du groupe social vivant dans la circonscription électorale.

Nous disons toujours à nos députés qu'ils doivent défendre les intérêts du district qui les a élus, mais qu'ils doivent défendre toujours et par-dessus tout les intérêts nationaux, que l'attitude de : «Je m'occupe de cet endroit, et peu importe les autres» n'est pas la bonne.

Aujourd'hui même, à la veille du Sommet ibéro-américain, nous disons que ce qui nous intéresse le moins, ce sont nos propres intérêts, et ce que nous avons fait durant la discussion des documents, c'est nous préoccuper des intérêts d'autrui, ou mieux, des intérêts collectifs de notre région, l'Amérique latine et les Caraïbes. La mondialisation existe, c'est certain, on marche inévitablement dans ce sens. Comment ce sera ? Ça dépendra beaucoup de la clarté que nous aurons maintenant et de ce que nous serons capables de faire aujourd'hui.

Que pouvons-nous vous offrir ? Vous exhorter à ne vous décourager devant rien ni personne. Vous exhorter à ne pas vous laisser intimider par l'énorme pouvoir des patrons des organes de presse et des grands médias qui ne sont pas nationaux aujourd'hui, qui sont bien souvent transnationaux et qui menacent, en tant que grand instrument de domination, l'intégrité, et qui menacent par-dessus tout la culture de tous les pays du monde.

Nous cherchons constamment des mécanismes, des méthodes, pour transmettre notre message. En fait, les messages s'adressent à des dizaines et des dizaines de milliers de personnes. Les groupes de solidarité, qui sont des amis courageux et infatigables de Cuba, même dans des conditions défavorables et sans ressources matérielles, jouent un rôle extraordinaire dans la bataille contre la désinformation et le mensonge. Ils vendent parfois 20 p. 100 des conférences et discours imprimés, et avec ce qu'ils gagnent ils en impriment un millier de plus qu'ils distribuent là où n'arrivent pas d'autres moyens d'information.

Nous cherchons tous les jours de nouveaux moyens de faire passer le message écrit, de faire passer le message télévisé par des cassettes, par l'Internet et par tous les moyens possibles. Après nous être creusés la cervelle un bon bout de temps, nous sommes maintenant en mesure d'envoyer de nombreux messages à bien des endroits à la fois.

Un journal, par exemple, qui se vend dans la rue à dix mille exemplaires touchent dix mille familles, et nous transmettons parfois cent mille messages adressés à ceux que nous voulons informer. Nous pouvons transmettre des millions de messages et nous avons des idée pour le faire. Il y a moyen de contrecarrer le pouvoir monopolistique gigantesque des médias et de leurs propriétaires; les esclaves, les journalistes, les prolétaires de la presse ont devant eux des possibilités infinies.

Comme je n'ai pas eu le privilège de participer à votre congrès et que je vous ai obligé à être assis depuis si longtemps, et que j'ai créé en plus un vrai désastre à la veille du Sommet ibéro-américain - non à cause de de que j'ai dit, parce que peu m'importe que ça se sache, quoique je vous aie parlé discrètement et en famille - mais parce qu'il est déjà minuit passé, j'ai une idée pour vous compenser en quelque sorte, si vous voulez l'apprécier ainsi généreusement : que nous fassions un congrès de journalistes latino-américains (applaudissements).

Au début de l'année, nous avons réuni des centaines d'économistes de différentes parties du monde, parlant différentes langues - je parle des jouranalistes étrangers, bien entendu, qui était cinq ou six cents, si je me souviens bien, plus une forte délégation cubaine. Alors, si nous faire de nouveau une réunion similaire au début de l'année prochaine, si nous allons avoir dans quelques mois un congrès d'étudiants latino-américains, avec cinq mille délégués environ, pourquoi ne pas organiser un congrès de journalistes latino-américains ? Je suggère seulement.

Bien entendu, j'aimerais que ce soit ici, parce qu'ailleurs, il est probable que je ne puisse pas y participer. Ce seraient trop de problèmes. Je coûte plus cher, croyez-moi, quand je voyage, parce que je dois même partir avec deux avions pour dépister et qu'on ne sache pas dans lequel je suis. Oh oui, ça coûte bien plus cher si je dois voyager que d'inviter ici deux à trois cents journalistes prolétariens ayant des idées à eux. Non, non, nous ne voulons pas seulement des marxistes, il ne s'agit pas de ça, et nous ne faisons aucune objection à la participation de personnes de toutes les obédiances et philosophies; nous voulons des journalistes honnêtes ayant des vues à eux - de vrais journalistes indépendants, eux ! - afin de discuter des problèmes, d'aborder les méthodes de lutte. Et parmi eux, quelques dizaines de délégués cubains, si nous ne voulons pas nous fâcher avec un nombre trop élevé de membres de l'Union des journalistes de Cuba...

La question du nombre n'est pas importante. On peut même faire des réunions de plusieurs centaines. Si la salle est trop grande, les gens ne se voient plus. Mais dans une salle permettant de réunir trois cents ou quatre cents personnes, l'expérience prouve qu'on peut vraiment discuter en famille. La durée ? Autant de temps qu'il le faudra, mais dans le style de celui que nous avons fait : c'est en discutant, en pensant, en réfléchissant, en posant les problèmes, les difficultés, qu'on trouve des solutions. Je vous l'assure.

Ce serait vraiment quelque chose d'excellent, et non ce très modeste congrès qu'a organisé la FELAP. Très modeste, seulement une trentaine ou une quarantaine de délégués. Combien ? (On lui dit quarante.) Quarante. Après tout, Lénine a organisé le parti bolchevique russe à un congrès de dix ou douze délégués ! Je pense que si nous réunissons ici trois à quatre cents journalistes aux caractéristique que j'ai dites, nous pouvons bel et bien appeler ça un congrès. Pas plus, parce qu'il serait moins fructueux; pas plus, pour ne pas dépasser les limites qui nous ont permis d'organiser un congrès comme les deux en sept mois que nous avons organisés.

Laissez-moi vous dire qu'on constate une grande ferveur chez nos journalistes, avec des tas de tâches à remplir. Et alors que nous pensions en avoir de trop, voilà que nous sommes en train de prendre des initiatives pour en augmenter le nombre, bien que nous n'ayons que deux quotidiens. Mais c'est compte tenu des publications pour enfants, des revues, de la télévision et de la radio que nous sommes en train de nous préparer pour la grande tâche qui nous attend. Il règne un grand enthousiasme. Ce dont l'homme a toujours eu besoin, c'est une grande cause. Il n'y aura jamais de grands hommes sans grandes causes. Quand il existe une grande cause, alors beaucoup de gens, presque tous les gens peuvent devenir un grand écrivain, un grand journaliste, un grand communicateur. Nos journalistes ont devant eux cette grande cause, qu'il ont très bien définie et qu'ils comprennent parfaitement.

Si nous faisons ce genre de réunion, la FELAP en sortira renforcée. Et, croyez-moi, les patrons ne veulent pas de syndicats, ni de collèges, ni d'organisations d'esclaves. Ils veulent vous maintenir d'une manière ou d'une autre au carcan, les fers aux pieds.

Disons donc : Prolétaire de tous les domaines de la divulgation dans le monde, éduquons-nous et unissons-nous ! (Applaudissements.)

J'ai dit : éduquons-nous, parce que c'est ce que nous faisons après avoir pris conscience de l'énorme besoin d'un recyclage constant. Notre organisation nationale de journalistes se transforme en une université, en un centre de hautes études de journalisme, où l'apprentissage n'a pas une durée limitée. Voilà comment nous voyons et concevons le rôle des journalistes en ce siècle qui commence (applaudissements).

(Une déléguée lui dit quelque chose.)

On me considère membre de la FELAP... Etes-vous d'accord ? (Cris de Oui.) Je vous remercie.

Je vous prie de penser à cette idée d'un congrès, en gros dans les termes dont je vous ai parlé, travaillant matin, midi et soir, afin d'aborder les problèmes non seulement de nos pays, mais encore les problèmes cruciaux du monde contemporain. Puisque nous parlons de mondialisation, nous devons mondialiser notre manière de penser, renoncer à l'esprit de clocher - que le clocher soit petit, moyen ou grand - et nous situer sur la planète où nous sommes contraints de vivre.

Les travailleurs de la culture ont aussi tenu un congrès grandiose. Extrêmement fructueux. Bien entendu, les activités de la culture ne sont pas aussi homogènes que celles du journalisme, elles sont plus complexes et les acquis ne se mesurent pas aussi vite.

Le nombre d'intellectuels et leur oeuvre féconde croissent considérablement dans notre pays. Je dis intellectuel, en partant d'un critère dont j'ai parlé à nos journalistes : pour moi, ceux-ci sont des travailleurs intellectuels. Beaucoup des meilleurs romans ont été écrits par des journalistes qui savent rédiger, qui ont des connaissances de la vie, une culture élevée et une imagination fertile. Gabriel García Márquez a d'abord été un journaliste de Prensa Latina, à la création de cette agence, et bien d'autres se sont avérés aussi d'excellents auteurs. Je dirais que l'écrivain doit connaître les techniques du journalisme, et le journaliste, les techniques des écrivains, des romanciers.

La salle du palais des Congrès où se sont tenus le congrès de l'Union nationale des écrivains et artistes de Cuba et, peu après, celui des journalistes, serait sans doute le meilleur endroit pour ce genre de rencontres que je propose. Maintenant, c'est votre tour, tout dépend de vous.

Puis-je maintenant partir dans l'espoir que l'idée vous plaît ? (Applaudissements et cris de Oui.)

Eh bien, alors, je dis comme Jules César - si l'on en croit ce qu'il a dit, parce que je crois que 90 p. 100 de ces grands mots sont des légendes que quelqu'un a inventées à posteriori, je le sais par expérience quand je vois comment chacun rapporte des faits importants vécus en commun - : Alea jacta est.

Vous voyez, je parle anglais et je parle latin ! (Rires et applaudissements.)

Je vous remercie.
 

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