Allocutions et interventions

Constitution de L’assemblée Nationale du Pouvoir Populaire, le 2 décembre 1976

Date: 

02/12/1976

 

Honorables invités ;

Chers compañeros,

Nous saluons chaleureusement et fraternellement les délégations d’amis qui nous rendent visite à l’occasion de cette cérémonie et de cette date. Que ceux qui ne craignent pas de voyager à Cuba, ceux qui ne méconnais­sent pas le droit inaliénable de toute collectivité humaine à construire un avenir juste, ceux qui, partageant ou non l’idéologie politique de notre Révolution, savent qu’il n’y a d’autre alternative que le respect mutuel, l’amitié, la collaboration et la paix entre les peuples, que tous ceux-là sachent la profondeur de notre considération, de notre hospitalité et de notre respect.

La pensée politique a atteint son apogée quand certains ont pris conscience qu’aucun peuple et qu’aucun homme n’avaient le droit d’en exploiter d’autres et que les fruits des efforts et de l’intelligence de chaque être humain devaient profiter à tous les autres ; bref, que l’homme ne pouvait être pour l’homme un loup, mais un frère. Voilà l’essence intime des postulats du socialisme. Mais celui-ci, qui a atteint sa plus haute expres­sion dans les idées de Marx, d’Engels et de Léni­ne, nous a également dévoilé les lois qui régis­sent le développement de la société humaine et les voies qui conduisent à la victoire définitive de notre espèce sur toutes les formes d’esclavage, d’exploitation, de discrimination et d’injustice entre les hommes.

Nous saluons tous ceux qui en sont arrivés à cette conviction encourageante et nous saluons aussi ceux qui, tout en ne partageant pas ces idées, sont des démocrates et des progressistes honnêtes, car l’honnêteté politique selon une ligne conséquente est un chemin qui conduit l’esprit et la volonté de l’homme vers l’idéal socialiste. S’il est vrai en effet que tous les che­mins mènent à Rome, comme on pouvait le dire autrefois, on peut affirmer aujourd’hui que tous les chemins de la pensée progressiste mènent au socialisme.

L’étape du provisoire se termine pour notre Gou­vernement révolutionnaire et notre Etat socia­liste adopte des formes institutionnelles définiti­ves au cours de cette cérémonie capitale et his­torique dont nous sommes tous les vivants té­moins. L’Assemblée nationale devient l’organe suprême de l’Etat et assume les fonctions que lui assigne la Constitution. Atteindre ce but, qui était pour notre génération un devoir, représente en même temps pour elle une grande victoire.

Quand je dis « notre génération », je ne me réfère pas seulement à ceux d’entre nous qui ont commencé la lutte à la Moncada, qui l’ont poursuivie à l’époque du Granma et de la Sierra Maestra, qui l’ont continuée pendant les journées critiques de Playa Girón et au cours des dures années de lutte noble, altière et sans compromis qui ont suivi. En fait, cette Assemblée est le résultat des efforts de plusieurs générations, depuis celle qui a énergiquement combattu contre Machado et que symbolise aujourd’hui Juan Marinello, pré­sident d’âge de cette Assemblée, jusqu’à celle de notre jeunesse combative et enthousiaste, représentée par les jeunes filles de dix-neuf ans, l’une ouvrière, l’autre étudiante, qui n’étaient pas encore nées au moment du dé­barquement du Granma et qui ont fait fonction de secrétaires. De même, au cours de la brillante revue militaire que les conditions météorologiques d’aujourd’hui nous ont obligés à renvoyer au 4 décembre, nous ver­rons, aux côtés des valeureux combattants de la Sierra Maestra, défiler leurs enfants, qui sont déjà officiers de nos glorieuses Forces armées révolutionnaires ou fringants Camilitos de nos écoles d’éveil à la vocation militaire. Si les enfants des guerriers de 1868 ont combattu pendant la guerre de 1895, les enfants des combattants de 1956 défilent déjà en 1976 aux côtés de leurs pères. La génération des grands-pères, des pères et des fils qui ont résolument fait face à l’impé­rialisme, à la tyrannie et à l’injustice sociale, est réunie en cette splendide Assemblée.

On ne trouvera pas ici, comme dans le monde bourgeois, de différences entre militaires et civils, entre Blancs et Noirs, entre hommes et femmes, entre jeunes et vieux, parce que nous jouissons tous des mêmes droits et des mêmes devoirs. On ne trouvera pas non plus, par bon­heur, de différences entre riches et pauvres, entre exploiteurs et exploités, entre puissants et hum­bles, parce que la Révolution a liquidé le pouvoir politique des bourgeois et des propriétaires fon­ciers pour instaurer l’Etat des travailleurs. Voilà ce que sont tous nos députés: des travailleurs manuels ou intellectuels, des hommes et des fem­mes, des vieux et des jeunes, des soldats et des civils, qui consacrent leur vie au service de la patrie et de la révolution, ou qui étudient et se préparent à hériter de nos idées, de nos efforts et de nos luttes. Le métier de politicien n’existe pas au sein de notre Révolution, parce que nous sommes tous des politiciens, depuis le pionnier jusqu’au vieil­lard retraité. Ceux qui travaillent dans le Parti ou dans l’Etat le font non parce qu’ils aspirent à un poste, mais parce que les militants et le peuple leur confient une tâche. Dans le socialis­me, les citoyens ni n’aspirent à une charge ni ne la postulent. Ni les richesses, ni les relations sociales, ni la famille, ni la publicité ou la pro­pagande, comme cela se passe dans la société bourgeoise, ne décident ni ne peuvent décider en quoi que ce soit du rôle d’un homme dans la société. Ce sont le mérite et uniquement le mé­rite, la capacité, la modestie, la passion vibrante pour le travail, la révolution et la cause du peu­ple, qui déterminent la confiance que la société accorde à n’importe lequel de ses enfants. Le seul placard électoral affiché pendant le scrutin porte mention de la biographie du citoyen. Et, à l’heure du choix, nombreux sont ceux qui s’avè­rent dignes d’une telle confiance. Les hommes et les femmes de notre pays chargés de mérites ne font pas tous, car ce serait impossible, partie de cette Assemblée; mais, en revanche, tous ceux qui en font partie sont des hommes et des fem­mes aux mérites incontestables, de dignes repré­sentants de tout le peuple.

Ces représentants du peuple ne perçoivent aucu­ne rémunération en tant que députés, pas plus qu’ils n’exercent leur charge indépendamment du contrôle de leurs concitoyens. Ceux qui les ont élus peuvent les révoquer à tout instant, Aucun ne sera au-dessus des lois ou du reste de ses compatriotes. Cette charge n’implique pas de privi­lèges, mais des devoirs et des responsabilités. Dans notre système, le gouvernement et l’admi­nistration de la justice dépendent aussi directe­ment de l’Assemblée nationale. S’il y a bien divi­sion de fonctions, il n’y a pas division de pou­voirs. Il n’y a qu’un pouvoir, celui du peuple travailleur, s’exerçant à travers l’Assemblée na­tionale et les organismes de l’Etat qui en dépen­dent. Notre structure étatique tient compte de l’expérience accumulée par d’autres peuples qui ont parcouru la voie du socialisme et de notre propre pratique. Nous appliquons à nos condi­tions concrètes, comme cela va de soi dans une véritable conception révolutionnaire, les princi­pes essentiels du marxisme-léninisme.

Non que notre Révolution en obtienne par là ­même un caractère populaire. Notre Révolution a été, dès le début, profondément populaire, avec des racines solidement ancrées dans les masses. Le premier acte souverain du peuple a été la révolution même. Notre Révolution n’a pas dé­coulé d’un coup d’Etat. Nous n’avions même pas d’armée au commencement. Personne ne nous a imposé notre Révolution de l’extérieur; elle s’est développée au rythme d’une lutte héroïque contre la domination impérialiste et contre les agres­sions extérieures les plus acharnées et les plus féroces ; notre Révolution est née du sein même du peuple, elle a été conçue et réalisée par de modestes enfants du peuple. Apparue comme un germe minuscule, notre Révolution est devenue aujourd’hui un arbre gigantesque ; rêve séculaire d’hier, elle s’est transformée en splendide réalité d’aujourd’hui ; volonté du peuple, en pan d’his­toire irréversible.

Mais notre Révolution n’est pas le fruit exclusif de nos idées. Nos idées mêmes sont dans une grande mesure les rejetons de la pensée révolutionnaire mondiale. D’aucuns dans ce continent accusent bizarrement le socialisme d’être une idée aux relents étrangers. Comme si la langue que nous parlons ne nous était pas arrivée un jour de l’extérieur, comme si les idées libérales bourgeoises et tous les principes du capitalisme n’étaient pas historiquement nés en Europe, comme si le christianisme avait été la religion pri­mitive des aborigènes de ce continent, comme si la culture et la science n’étaient pas universelles ! L’argumentation politique de dirigeants réactionnaires et ignares se résume très fréquemment à cette diatribe, face à des masses plongées dans l’analphabétisme culturel et politique et soumi­ses à la plus brutale des exploitations économi­ques.

En réalité, le marxisme-léninisme est à la fois profondément internationaliste et profondément patriotique. La libération, le progrès et la paix de la patrie sont dans notre conception indissolublement liés à la libération, au progrès et à la paix de l’humanité entière. L’anarchie, les guerres, le développement inégal, les fabuleuses ressources englouties en armements et les dan­gers qui planent aujourd’hui sur l’humanité, sont des fruits naturels du capitalisme. Seule une distribution juste des forces productives, de la technique, de la science et des moyens d’existen­ce ; seule l’utilisation toujours plus rationnelle des ressources naturelles ; seule la coordination la plus étroite des efforts entre tous les peuples de la terre; bref, seul le socialisme peut délivrer l’humanité des épouvantables dangers qui la me­nacent : épuisement des ressources naturelles qui sont limitées, pollution progressive de l’environnement, croissance anarchique de la population, famines meurtrières et guerres catastrophiques.

Le capitalisme qui, comme l’a dit Marx, est arrivé au monde suant le sang et la boue par tous les pores, passera à l’histoire, parallèlement à ses grandes conquêtes scientifiques et techniques, et au développement colossal des forces producti­ves, comme l’une des étapes les plus cruelles, les plus déprédatrices, les plus ignominieuses et les plus criminellement dangereuses dans l’évolu­tion de la société humaine, parce qu’il combine aujourd’hui en son sein les idées les plus réactionnaires, le gaspillage de richesses le plus in­concevable, l’improvisation, l’irresponsabilité, et les armes les plus destructrices jamais sorties du cerveau humain. Seule la puissance, les ressources et le prestige de l’Union soviétique, marchant en tête des forces progressistes du monde et appli­quant une politique de paix sage, énergique et persévérante, ont été capables d’écarter les me­naces et les périls qu’implique encore le capita­lisme pour le monde.

Que les choses les plus absurdes puissent même survenir au sein de la famille socialiste et dans des pays qui ont pris ce glorieux chemin révolu­tionnaire, si l’on néglige les principes, si l’on oublie les idées, si les hommes deviennent des dieux, si l’internationalisme se perd, l’histoire récente de la Chine en est la preuve. Ce pays, dont la victoire révolutionnaire héroïque et lourde de sacrifices a constitué, après la glorieuse révolution d’Octobre, une des espérances les plus grandes et les plus stimulantes pour tous les peuples de la terre, a été le théâtre de la plus brutale des trahisons envers le mouvement révo­lutionnaire mondial. Il est injuste d’en accuser le peuple noble et dévoué, ou les communistes chinois qui ont donné tant de preuves de leurs vertus héroïques et de leur esprit révolution­naire.

Comment expliquer alors les faits qui y sont survenus ? Comment expliquer que la politique internationale chinoise aboutisse, partout dans le monde, à l’association avec les forces les plus rétrogrades de l’impérialisme ? Comment expli­quer sa défense de l’OTAN, son amitié avec Pinochet, sa complicité criminelle avec l’Afrique du Sud contre le MPLA, sa haine et sa campagne répugnante contre l’Union soviétique, ses lâches attaques contre Cuba, au point de faire chorus avec les pires porte-parole de l’impérialisme yankee et de la présenter comme une menace pour les peuples d’Amérique latine, ce qui revient en fait à se faire le complice du blocus et de l’infâme politique d’agression impérialiste con­tre notre patrie ?

Tout ceci peut survenir quand une camarilla cor­rompue et déifiée parvient à s’emparer du parti, à détruire, à humilier, à écraser les meilleurs mi­litants et à imposer sa volonté à toute la nation, en s’appuyant sur la force et sur le prestige qui émanent d’une profonde révolution sociale. J’ai toujours pensé que les fondateurs d’un processus révolutionnaire socialiste, acquièrent aux yeux de leurs concitoyens une telle autorité et un tel ascendant, détiennent de tels moyens de pouvoir que l’utilisation incontrôlée de cette autorité, de ce prestige et de ces moyens peuvent conduire à de graves erreurs et à d’incroyables abus de pou­voir. Je pense donc, et j’ai toujours pensé, que, quels que soient les mérites individuels d’un homme, il faut radicalement éviter toute manifestation de culte de la personnalité ; qu’un hom­me, quelles que soient les aptitudes qu’on puisse lui attribuer, ne sera jamais supérieur à la capa­cité collective ; que la direction collégiale, le res­pect inconditionnel de la pratique de la critique et de l’autocritique, de la légalité socialiste, de la démocratie et de la discipline au sein du Parti et de l’Etat, ainsi que l’inviolabilité des normes et des idées fondamentales du marxisme-léninis­me et du socialisme sont les seules valeurs sur lesquelles peut s’appuyer une véritable direction révolutionnaire.

J’ai dit à une occasion, justement lors du vingtième anniversaire de la Moncada : « L’homme meurt, le Parti est immortel. » Je souhaite ajouter à présent : aucun homme ne peut s’élever au-dessus du Parti ; la volonté d’au­cun citoyen ne peut jamais prévaloir sur celle de millions de compatriotes ; aucun révolutionnaire n’est plus important que la Révolution. L’exer­cice du pouvoir doit avoir pour contrepartie la pratique constante de l’autocontrôle et de la modestie.

Une nouvelle direction politique s’est mise en place en Chine. Il est encore trop tôt pour juger ce qui s’y passe. On mentionne des choses in­croyables sur la manière dont un groupe d’aventu­riers s’est virtuellement emparé de la direction du Parti. Ce que les explications officielles en provenance de Chine ne permettent pas encore de comprendre clairement, c’est par quels mécanis­mes ce groupe a pu diriger à sa guise la politique chinoise de longues années durant et comment la veuve de Mao Tsé-toung a pu, du vivant de ce dernier, commettre ces crimes au sein d’un parti communiste et dans le cadre d’un Etat socialiste. La leçon qui en découle doit nécessairement être utile au mouvement révolutionnaire mondial.

Le monde capitaliste développé est aujourd’hui plongé dans une profonde crise économique. Ceci affecte tous les pays sous-développés dont les marchés traditionnels sont en proie à une grave dépression, et porte préjudice dans une certaine mesure à notre propre pays. Il existe toutefois une exception dans le monde sous-développé : les grands exportateurs de pétrole, qui touchent en privilégiés une grande partie des recettes du commerce international dans cette région et qui, entre eux et les pays capitalistes développés, tri­turent comme une meule toutes les nations économiquement faibles du monde, autrement dit l’immense majorité.

Le problème n’est pas simple. Les monopoles capitalistes, autrefois maîtres des réserves pétro­lières mondiales, fixaient les cours du pétrole. L’opinion révolutionnaire a dénoncé avec insis­tance les prix monopolistiques des compagnies impérialistes et les fabuleux profits qu’elles en tiraient tous les ans. La juste cause du droit des peuples à disposer de leurs ressources naturelles, y compris du pétrole, a été soutenue par tous les Etats progressistes du monde. Les intérêts des pays pétroliers et ceux des autres nations sous-développées ont longtemps coïncidé. Tous ré­clamaient, en bonne justice, la revalorisation de leurs matières premières et la fin de l’échange inégal avec le monde capitaliste développé. On assistait parallèlement au sein des pays capitalis­tes industrialisés à la gestation d’une profonde crise découlant essentiellement de la nature agressive, anarchique, exploiteuse et irresponsa­ble de l’impérialisme : guerre du Vietnam, colos­sales dépenses militaires, déficits budgétaires, dilapidation et gaspillage des sociétés de consom­mation et autres tares inhérentes à la société capitaliste. Les vieilles méthodes du capitalisme développé pour enrayer et retarder les crises cy­cliques du système sont devenues de plus en plus inopérantes. L’inflation devenait incontrôlable.

Par ailleurs, la résistance croissante des masses ouvrières à faire les frais des restrictions rendait toujours plus difficile pour les gouvernements l’application des formules classiques de l’Etat bourgeois. C’est dans cette conjoncture qu’éclate la dernière guerre du Moyen-Orient, à la suite de laquelle les nations arabes décrétaient l’embargo sur le pétrole contre un groupe nourri de pays industrialisés, soutien traditionnel de l’agresseur israélien. C’est dans ces conditions que les cours du pétrole ont monté en flèche, favorisant aussi les pays producteurs qui ne s’étaient pas ralliés à l’embargo. Dès lors, les pays de l’OPEP, pous­sés par des motivations strictement économiques, comprenant le pouvoir que leur donnait le fait de monopoliser la majeure partie du pétrole commercialisé sur le marché mondial et de pos­séder une matière première vitale pour toutes les nations, ont fixé les prix à un niveau qui est qua­tre à cinq fois supérieur à celui d’avant l’embar­go, ce qui a aggravé et exacerbé la crise écono­mique mondiale.

Le fait que l’Algérie, l’Iraq et d’autres nations qui suivent une politique internationale progres­siste se trouvent parmi les pays pétroliers, les sympathies de nombreux peuples envers la cause arabe, les brutales menaces de l’impérialisme yankee et d’autres facteurs du même ordre ont amené presque tous les pays sous-développés à faire cause commune avec les producteurs de pétrole. L’attitude des premiers ne pouvait être plus désintéressée et plus solidaire, puisqu’ils n’étaient pas en conditions de supporter l’énor­me charge économique que les cours exorbitants du combustible impliquaient pour leur simple survie, sans même parler d’un développement modeste. Le fait qu’une poignée de pays expor­tateurs de pétrole, encore tout récemment coloni­sés, aient pu imposer de telles exigences sans être sur-le-champ envahis et occupés par les im­périalistes ne s’explique que par le nouveau rap­port des forces dans le monde, par la lutte achar­née de tous les peuples ces dernières décennies et par la solidarité internationale.

Cela supposait, comme contrepartie élémentaire, que les pays pétroliers épousent à leur tour la cause du monde sous-développé et partagent avec lui, de manière raisonnable, les nouvelles et importantes ressources financières qui aboutis­saient entre leurs mains. Le gouvernement de Cuba l’a exprimé publiquement à cette époque. Il était juste et fondamental – et c’était bien le minimum – d’assurer d’une certaine manière à ces pays des livraisons adéquates de combustible à un prix accessible. Voilà quelle aurait été la seule politique sensée et intelligente pour main­tenir les peuples dits du tiers monde unis en un seul front dans la lutte commune contre leurs exploiteurs historiques. Sauf rares exceptions, rien de tout cela n’est arrivé. Certains pays pétroliers, notamment les plus gros producteurs et les moins peuplés, ont commencé à accumuler de fabuleuses sommes d’argent et à les investir aussitôt dans des biens immobiliers, des actions et des industries aux Etats-Unis, en Angleterre, en RFA et dans d’autres pays industrialisés d’Europe, si bien que, très rapidement, rien ne pourra différencier les intérêts de ces Etats d’avec ceux du capital financier international, autrement dit, des monopoles impérialistes.

Ce comportement égoïste et erroné contraste ab­solument avec la solidarité exemplaire des pays sous-développés et s’explique, entre autres rai­sons, par la grande hétérogénéité et la grande diversité de critères et de systèmes politiques entre les pays de l’OPEP qui n’arrivent pratique­ment à un accord unanime que sur un seul point : la hausse des prix.

Les pays de l’OPEP ne suivent pas tous la même politique ; certains soutiennent des positions progressistes sous bien des rapports et se montrent sincèrement préoccupés de la situation économi­que internationale, comme l’Algérie, l’Irak, la Libye, le Koweït, le Nigeria et le Venezuela. Mais il est hors de doute que les deux plus gros pro­ducteurs, l’Iran et l’Arabie saoudite, dont les volumes dépassent ceux de tous les autres mem­bres de l’OPEP réunis, dépensent des dizaines de milliards de dollars pour acquérir des arme­ments sophistiqués aux Etats-Unis, permettant à ce pays impérialiste de rénover et d’écouler son matériel militaire excédentaire et périmé, et de maintenir sur pied son industrie de guerre, sans parler des milliers de techniciens militaires aux salaires fabuleux employés par ces Etats. La folie des grandeurs du Shah d’Iran, les stocks fantastiques d’armes qui rouillent entre les mains des soldats ineptes du roi d’Arabie saoudite, et le luxe délirant des sultans réactionnaires du golfe Arabe se paient de la sueur et de la faim de centaines de millions d’hommes et de femmes, de vieillards et d’enfants dans le monde sous­-développé. Et ceci est littéralement vrai. Car les pays capitalistes développés ont fait passer le renchérissement du pétrole dans les équipe­ments, les engrais, les denrées alimentaires et tous les produits finis en général qu’ils exportent vers les pays sous-développés, dont les marchés se rétrécissent de plus en plus, dont les produits d’exportation sont dévalorisés et qui doivent par­dessus le marché payer presque cent dollars la tonne le pétrole qu’ils consomment. Les pays capitalistes industrialisés possèdent d’autres for­mules supplémentaires pour annuler ce renchéris­sement, entre autres la vente de matériel mili­taire, comme celui dont nous avons déjà parlé, qui met moins de temps à se transformer en ferraille inutilisable qu’il n’en faut aux sujets opprimés des shahs persans et des rois saoudites pour en apprendre le maniement. C’est la répétition, à l’âge moderne, de la légende classique sur les conquistadores européens qui troquaient leurs miroirs et leur verroterie contre l’or des Indiens.

Personne ne conteste que le pétrole soit une ressource épuisable, comme le sont aussi les autres minerais qu’exportent de nombreux pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine et qui méritent donc tout autant des prix rémunérateurs; personne ne doute que le pétrole est un produit que les sociétés de consommation ont criminelle­ment gaspillé et qui réclame donc une politique de préservation et une utilisation rationnelle. Mais pourquoi serait-ce donc les pays sous-déve­loppés les plus démunis de ressources économi­ques, et souvent même de ressources naturelles, qui devraient faire tous les frais, de manière écrasante et intolérable, de la crise économique capitaliste : prix faramineux pour leurs importa­tions, marchés déprimés pour leurs exportations, dépense de devises pour un combustible coûtant dix fois son prix de production ? Quelles sont, pour le monde, les conséquences à court et à moyen terme de cette situation ? Comment pourrait-on organiser des campagnes contre la faim, la dénutrition, l’insalubrité, l’analphabétisme, la pénurie d’eau potable et de logements, bref, contre la pauvreté, dans un monde dont la popu­lation dépasse déjà quatre milliards d’habitants et où une personne sur trois est sous-alimentée ?

Les faits prouvent que la revalorisation excessive et abusive d’une matière première sur le marché mondial, à la suite de l’action monopolistique et unilatérale de quelques pays qui la détiennent, n’a pu se réaliser qu’au prix de la dévalorisation de toutes les autres matières premières et de tous les autres produits dont vivent l’immense majorité des pays sous-développés du monde. Ce n’est pas ainsi qu’on supprimera l’échange inégal qui est encore plus défavorable actuellement à cette majorité de pays : c’est bien au contraire une manifestation, non de solidarité entre peuples exploités, mais de nationalisme borné et égoïste. Une chose est de réclamer au riche, une autre de voler le pauvre.

Il existe aussi, il est vrai, des gouvernements rétrogrades et des systèmes sociaux injustes parmi les pays sous-développés non pétroliers, mais nous défendons une position de principe.

Ces problèmes brûlants démontrent l’urgence, toujours plus pressante, pour tous les peuples de chercher des formules rationnelles de coopé­ration, de développement, de distribution de la technologie et des ressources. C’est exactement ce qu’avait prévu Marx voilà plus de cent ans, quand la population de la planète et les problè­mes de l’humanité n’étaient qu’une pâle image de ce qu’ils sont aujourd’hui. Aucun peuple ne sera prêt à mourir de faim ; les pays exportateurs de pétrole ne sont pas les seuls parmi les nations sous-développées du monde à avoir le droit de vivre.

Nous avons récemment abordé les problèmes auxquels Cuba est confrontée en raison de ces facteurs. Le sucre, hormis celui que notre pays fournit à l’URSS et à d’autres Etats socialistes, a vu non seulement ses cours s’effondrer, mais encore ses marchés se rétrécir. Le Japon, par exemple, qui en était arrivé ces dernières années à acheter jusqu’à un million de tonnes de sucre cubain, n’a pas dépassé le volume de cent trente mille tonnes en 1976, et il en est allé de même avec d’autres marchés à devises convertibles. Ceci entraîne des difficultés et nous oblige à res­treindre drastiquement notre commerce sur ces marchés, parce que le respect de nos obliga­tions financières internationales passe pour nous avant l’achat de nouvelles marchandises et de nouvelles usines. Les restrictions économiques dans le domaine intérieur ne sont jamais agré­ables. Nous le savons. Les améliorations seront toujours reçues avec plus de satisfaction. Mais la force d’un peuple et d’une révolution consiste justement en sa capacité de comprendre les difficultés et d’y faire face. Nous progresserons malgré tout dans de nombreux domaines et nous lutterons avec acharnement pour élever l’efficience de l’économie, économiser les res­sources, réduire les dépenses non essentielles, augmenter les exportations et créer en chaque citoyen une conscience économique. J’ai dit plus haut que nous sommes tous politiciens ; j’ajou­terais à présent que nous devons tous être aussi économistes ; je dis bien économistes, pas « éco­nomicistes », car une mentalité d’épargne et d’effi­cience est différente d’une mentalité de consom­mation.

Nous avons dû il y a quelques jours, pour les raisons mentionnées, réduire notre consomma­tion de café, tant la consommation massive que la consommation individuelle. Je dois dire que la restriction a d’abord touché les organisations politiques, les organisations de masse et l’administration. On a respecté dans toute la mesure du possible les quotas assignés aux coupeurs de canne, aux travailleurs de nuit, etc. Je tiens à signaler que le camarade Agostinho Neto et d’autres dirigeants angolais ont fait savoir à nos représentants en Angola, dès qu’ils ont appris ces restrictions, qu’ils étaient prêts à envoyer du café à Cuba coûte que coûte. Ce geste nous a ému, mais nous ne pouvions en aucun cas l’accepter. Quinze mille tonnes de café valent aujourd’hui quarante millions de dollars, et l’Angola, un pays détruit par la guerre et confronté à d’énormes difficul­tés, a besoin de ces recettes. Nous ne pouvons consommer en café des ressources que nous avons aidé à défendre et à créer avec notre sueur et avec notre sang. Le geste de Neto a été exemplairement internationaliste ; l’attitude de Cuba doit être exemplairement inter­nationaliste.

Il faut produire le café à Cuba, quelles que soient les difficultés climatiques. Ajoutons que, étant donné les nouvelles conditions créées par la Révolution, de nombreux paysans tendent à abandonner les montagnes, qui sont les régions productrices de café et où les avaient autrefois poussés le chômage et la faim. Leurs enfants font des études avec la magnifique perspective de devenir des techniciens et ouvriers qualifiés. De nouvelles aspirations voient ainsi le jour. Par ailleurs, la population consommatrice a augmenté. L’Association nationale des petits paysans (ANAP) doit faire le maximum d’efforts de cons­cientisation auprès des paysans de ces zones pour impulser la production. La Banque nationale doit étudier les problèmes relatifs aux crédits et aux ressources financières adéquates. Le mi­nistère de l’Agriculture doit analyser les prix, le renouvellement des plantations, les intrants et les autres facteurs entrant en jeu. Il faudra pour­suivre la politique consistant à installer dans les montagnes· des écoles secondaires fonctionnant selon le système études-travail. Il sera nécessaire enfin de porter une attention spéciale à cette culture dans le cadre des nouvelles conditions sociales. Au nom de toute la nation, nous deman­dons aux provinces orientales, dont les repré­sentants sont ici présents, de faire un effort spécial, technique et productif, en ce qui con­cerne la culture du café, ainsi qu’aux provinces de ce qui était autrefois Las Villas, Pinar del Rio et La Havane, où il existe, mais à moindre échelle, des caféières.

Le Premier Congrès du Parti s’est déroulé voilà un an. Le Parti et l’État ont, depuis, déployé une intense activité pour en viabiliser les résolutions. La Constitution a été adoptée au cours d’un référendum exemplaire. Toutes les initiatives pertinentes relatives à la nouvelle division politico-administrative ont été prises. La nomination des candidats et l’élection des délégués aux assemblées municipales se sont déroulées de façon brillante et enthousiaste, ce qui a permis de passer aux étapes suivantes : élection des délégués provinciaux et des députés à l’Assem­blée nationale, formation des Pouvoirs popu­laires à l’échelon municipal et provincial. Les nouvelles provinces ont été officiellement éta­blies le 7 novembre dernier. Parallèlement, on élaborait pendant des mois de travail intense le projet de restructuration de l’appareil central de l’État, conformément aux principes de la Cons­titution, à la nouvelle division politico-adminis­trative, à l’implantation des Pouvoirs populaires, au système de direction de l’économie en cours d’application et à la recherche d’une efficacité et d’une uniformité maximales et d’une réduction des coûts dans l’administration centrale. Bien qu’il s’agisse d’un terrain sur lequel on peut et on doit encore avancer dans les années futures, on est parvenu à définir avec toute la précision voulue les fonctions, les structures et le per­sonnel de tous les organismes de l’administra­tion centrale de l’État, travail qui s’est traduit par une législation importante, dite Loi d’orga­nisation de l’administration centrale de l’État que le Conseil des ministres a approuvée au cours d’une de ses dernières actions comme pouvoir législatif. Cette loi définit quarante-trois organismes centraux. Trente-quatre revêtent le caractère de comités d’État ou de ministères, dont les titulaires auront le rang de ministre et formeront, conjointement avec le président du gouvernement, les vice-présidents et le secrétaire désignés, le Conseil des ministres. Le personnel administratif employé actuellement par l’admi­nistration centrale diminue considérablement grâce à cette structure et à la suppression des régions. Les travailleurs mis en disponibilité devront être reclassés dans d’autres activités de production ou de services. Bien évidemment, ils ne seront pas abandonnés à leur sort, car le gouvernement adoptera, comme il l’a toujours fait, les mesures pertinentes pour leur permettre de vivre et de se reclasser.

Une grande décentralisation administrative s’opè­re parallèlement dans les fonctions de l’État. D’importantes tâches reviennent actuellement aux municipalités et aux provinces. La coordination la plus étroite s’impose’ plus que jamais entre toutes les communautés du pays, et entre celles-ci et le gouvernement central. Toute manifestation d’esprit de clocher et de régionalisme doit être énergiquement combattue, mais les provinces devront en même temps lutter de façon adaptée, juste et rationnelle, pour leur dévelop­pement, sans jamais perdre de vue les intérêts de l’ensemble national.

Comme on peut le voir, de profondes transfor­mations institutionnelles se sont opérées en un bref laps de temps. La création de l’Assemblée nationale, l’élection du Conseil d’État, de son président et de ses vice-présidents, et la dési­gnation du Conseil des ministres mettent fin pour l’essentiel à cet historique processus d’institutionnalisation de notre Révolution.

L’Assemblée nationale adoptera dorénavant les plans économiques et votera le budget de la République, parmi les nombreuses fonctions im­portantes que lui assigne la Constitution. N’ayons pas peur d’affronter les difficultés. Et si la réalité économique internationale et la limitation de nos ressources naturelles nous imposent des plans plus modestes, faisons-le sans hésitation ni découragement. Notre mot d’ordre est et sera toujours : faire le maximum et tout faire pour notre peuple. Soyons courageux en accomplis­sant notre devoir et agissons toujours en vérita­bles révolutionnaires.

Qui pourrait nier que ce processus qui culmine aujourd’hui constitue un progrès capable de tous nous enorgueillir, un règlement de comptes avec l’histoire et avec nos consciences révolutionnaires, l’heureux accomplissement d’un devoir sacré qui est né avec la Moncada même et la preuve éloquente que notre Révolution a su rester fidèle à ses principes ? Nous devons à présent adapter notre mentalité aux changements que nous avons réalisés, travailler avec enthousiasme et con­fiance dans ces nouvelles conditions, respecter strictement les normes et lutter infatigablement pour que les nouvelles institutions fonctionnent à la perfection. Nous fêtons aujourd’hui le vingtième anniver­saire du débarquement du Granma. Le yacht Granma nous apparaît à tous, au fil du temps, toujours plus petit et le trajet de neuf cent quarante kilomètres parcourus entre Tuxpan et la plage Las Coloradas infiniment plus long. Il nous semblait alors un engin merveilleux pour transporter nos quatre-vingt-deux combattants, et la mer tempétueuse un chemin splendide pour rentrer heureux dans la patrie et tenir une pro­messe. Nul n’est capable de calculer la force et la décision que les idées justes peuvent engen­drer dans l’esprit humain. Des faits semblables se sont fréquemment répétés par la suite. Une armée victorieuse a été reconstruite à partir des sept fusils brandis par les restes affamés et épuisés de cette expédition ; Raúl et Almeida ont ouvert le IIe et le IIIe Fronts avec une poignée d’hommes ; trois cents combattants ont repoussé une offensive de dix mille hommes dans la Sierra Maestra ; Che et Camilo ont envahi Las Villas avec respectivement cent quarante et quatre-vingt-dix combattants aguerris, déjouant au cours d’une marche épique la persécution tenace de milliers de soldats ennemis. C’est le même esprit du Granma qui a poussé nos hommes, presque vingt ans après, à traverser dix mille kilomètres d’Atlantique, sur des avions qui avaient eux aussi plus de vingt ans, pour appuyer nos frères angolais, tout comme il a poussé ceux qui ont parcouru par mer la même distance, au cours de voyages de vingt jours, sur des cargos qui emportaient trois fois plus de personnel que ce qu’on aurait calculé dans n’importe quelle opération logistique.

Seuls quelques-uns ont survécu à la Moncada et au Granma et on compte déjà sur les doigts de la main dans nos forces armées ceux qui ont été les protagonistes de ces faits ; mais de jeunes ouvriers, de jeunes paysans et de jeunes étudiants comblaient les vides que la mort ouvrait dans nos rangs. Tout un peuple s’est enrôlé dans la cause de la révolution et notre force s’est depuis infiniment multiplié. C’est l’idée, la conviction de défendre une cause juste qui a réalisé ce miracle. Une belle tradition d’héroïsme s’est forgée dans la jeunesse cubaine, une tradition qui a insufflé aux nouveaux combattants de la force, de la confiance en soi et une volonté invincible. Aussi, Cuba a-t-elle pu résister, altière, invaincue et héroïque, aux coups de boutoir de l’impérialisme yankee.

Le Bureau politique vient de décider de changer le nom des grades dans nos Forces armées révolutionnaires pour les ajuster à la pratique internationale. Cette décision a été longuement mûrie. Tout au long de notre vie de combattants révolutionnaires, nous avons toujours été extrêmement prudents en ce qui concerne les grades. Notre hiérarchie militaire la plus élevée dans la Sierra Maestra était celle de commandant. Nous avions en fait trois grades : lieutenant, capitaine et com­mandant. Nous avons débuté, comme vous le savez, avec quatre-vingt-deux hommes ; puis nous avons été moins et, plus tard, beaucoup plus. Nous avions à la fin de la guerre environ trois mille hommes sous les armes. Ceux qui dirigeaient des colonnes et qui ont ouvert de nouveaux fronts, Raúl, Almeida, Camilo, Che et d’autres, portaient le grade de commandant. De grandes prouesses militaires ont été accomplies avec de modestes grades. La Révolution a triomphé et nous avons maintenu nos grades. Nos Forces armées révolutionnaires ont énormément grandi et nous avons maintenu nos grades. Cela est devenu une espèce de règle virtuelle pour les mouvements révolutionnaires qui sont appa­rus après la Révolution cubaine : suivant notre tradition, personne n’osait porter un grade supé­rieur à commandant.

Le jour est arrivé où nous nous sommes vus dans l’obligation d’organiser et de diriger une énorme armée avec ces seuls grades. Nous éprou­vions au fond une haine profonde envers certains titres évoquant une hiérarchie militaire supérieu­re. C’était une réaction logique, car nous avions grandi en voyant les abus, les injustices, les vols et les prébendes d’une armée mercenaire qui opprimait le peuple et contre laquelle nous avions lutté. Mais il n’en reste pas moins que la révo­lution victorieuse avait du mal à se faire com­prendre dans la terminologie universelle des grades militaires.

Nos grades étaient différents, à commencer par ceux des pays socialistes. Il fallait diriger des régiments, des divisions et des corps d’armée. Nous avons alors imaginé les dénominations de premier capitaine, de premier commandant, etc. Puis, commandant de brigade, commandant de division, et ainsi de suite. Mais le monde continuait pourtant à ne rien comprendre à nos dénominations militaires. Une pudeur fortement enracinée nous empêchait de changer le nom de nos grades.

La Chine, par exemple, en était même arrivée pendant les années folles de la Révolution dite culturelle à supprimer les grades militaires. Nous en sommes au contraire arrivés à la conclusion qu’on pourra supprimer les armées, le jour où le socialisme deviendra dans le monde un systè­me universel et où la paix règnera véritablement entre les peuples, mais que, tant qu’existera l’impérialisme, les pays socialistes auront besoin d’armées et que, tant qu’il existera des armées, les grades militaires seront indispensables.

Si l’on appliquait le même principe consistant à supprimer les hiérarchies dans toutes les autres institutions, il faudrait supprimer les dénomina­tions de secrétaire du parti, de président de la république, de chef d’État, d’administrateur d’usine, etc.

Par ailleurs, le fait que notre pays ait été occupé par une armée mercenaire au service de l’impérialisme pendant les années de la pseudo-Répu­blique n’était pas une raison suffisante pour laisser de côté nos héroïques mambis qui avaient utilisé les grades de colonel et de général pendant les deux guerres d’Indépendance, en 1868 et en 1895. Máximo Gómez, Antonio Maceo et Ignacio Agramonte étaient généraux. Quelques jours après le débarquement de Playi­tas, Máximo Gómez conférait le grade de major général de notre Armée libératrice à José Martí, qui le recevait avec une émotion et un orgueil profond.

Notre armée révolutionnaire, démarrant pratiquement de zéro, s’est heurtée à l’armée mercenaire de Batista et l’a écrasée ; a liquidé les bandes contre-révolutionnaires ; a fait mordre la poussière en moins de soixante-douze heures, à Playa Girón, à l’armée organisée et entraînée par le Pentagone et la CIA ; a affronté héroïquement et sans hésitations le mortel danger nucléaire pendant la crise d’Octobre ; a défendu le pays contre l’impérialisme le plus puissant du monde ; a, au cours d’une importante mission internationaliste, mis en débandade en quelques mois, aux côtés des frères angolais, la coalition impérialiste raciste qui tentait de s’emparer de l’Angola. Nos officiers se sont constamment perfectionnés et formés. Nous estimons que nos Forces armées révolutionnaires, vingt ans après leur fondation, méritent bien, pour organiser et diriger la défense du pays, de porter les grades appropriés qui sont utilisés partout dans le monde.

Nous connaissons bien nos militaires, nous savons combien ils sont profondément liés au peuple et à la cause du socialisme, nous connaissons leur modestie, leur dévouement, leur austérité, leur discipline, leur patriotisme et leur respect inconditionnel à notre Parti et à notre État populaire. Ils sont, comme l’a dit Camilo, le peuple en uniforme. Aussi demandons-nous à l’Assemblée nationale de soutenir et de ratifier cette décision prise par notre Parti et par notre Conseil des ministres.

Il nous reste encore un acte formel : déclarer que le Gouvernement révolutionnaire transfère en ces moments à l’Assemblée nationale le pouvoir qu’il détenait jusqu’à présent. Le Conseil des ministres remet ainsi entre les mains de cette Assemblée les fonctions constituantes et législatives qu’il a exercées pendant presque dix-huit ans, la pério­de de transformations politiques et sociales les plus radicales et les plus profondes dans l’histoi­re de notre patrie. Que l’histoire juge objectivement cette époque !

Je suis pour ma part, chers compañeros, un criti­que inlassable de notre propre œuvre. Nous aurions pu faire mieux, de la Moncada à aujour­d’hui. La lumière qui nous indique dans chaque cas quelle aurait pu être la meilleure variante est l’expérience, mais les jeunes qui se lancent sur le chemin dur et difficile de la révolution ne la possèdent malheureusement pas. Qu’elle serve toutefois à nous apprendre que nous ne sommes pas des « sages » et que, avant de prendre toute décision, il y en a peut-être une supérieure.

Avec une affection extraordinaire, vous recon­naissez à vos dirigeants de grands mérites. Je sais qu’aucun homme n’a de mérites exception­nels et que nous pouvons tous les jours recevoir de grandes leçons des camarades les plus modes­tes.

Si j’avais le privilège de revivre ma vie, je ferais bien des choses autrement que jusqu’à présent, mais je peux également vous assurer que je lutterais toute ma vie avec la même passion pour les mêmes objectifs que jusqu’à présent.

Patria 0 Muerte !

Venceremos !

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